Violation du secret de l'enquête constituée par la présence d'une équipe de télévision
La présence d'un tiers ayant obtenu d'une autorité publique l'autorisation de capter, par le son ou l'image, fût-ce dans le but d'informer le public, le déroulement des actes d'enquête constitue une violation du secret de l'enquête auquel les agents ou fonctionnaires bénéficiant de pouvoirs de police judiciaire sont soumis.
L'article 11 du code de procédure pénale dispose que « la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète ». Le secret tient essentiellement à la non-divulgation, de quelque manière que ce soit, des éléments de la procédure à des tiers. Cet article ajoute que « toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du code pénal ».
Il ressort de cet arrêt de cassation rendu par la chambre criminelle le 9 mars 2021 que les agents de la direction départementale de la protection des populations (DDPP) sont également tenus par ce secret.
Le 21 mai 2013, une équipe de la DDPP, composée d'un inspecteur de la santé publique vétérinaire, d'un inspecteur du ministère de l'Agriculture et d'un inspecteur de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, a procédé à un contrôle dans un restaurant. Un procès-verbal relevant quatre infractions était établi à cette occasion.
À l'issue de l'enquête préliminaire ordonnée par le procureur de la République, la société gérant ledit restaurant n'a été poursuivie que pour le délit de pratique commerciale trompeuse par suite de la mention, sur les cartes et menus, d'une origine inexacte de spécialités de la mer, d'une viande et d'un fromage.
Après que le tribunal correctionnel a déclaré la société coupable de ces faits, celle-ci ainsi que le ministère public ont interjeté appel.
Un arrêt a été rendu par la cour d'appel de Poitiers le 10 avril 2020. Elle a écarté l'exception de nullité prise de la présence d'une équipe de télévision équipée d'une caméra lors du contrôle effectué dans le restaurant par les agents de la DDPP. Elle a estimé que, s'il se déduisait de l'article 11 du code de procédure pénale que la présence d'une équipe de télévision aux côtés d'enquêteurs agissant en flagrance, en préliminaire ou sur commission rogatoire serait de nature à vicier la procédure, tel n'était les cas des services de la DDPP qui procèdent non à des enquêtes mais à de simples contrôles qui n'aboutissent que rarement à des poursuites, mais plus souvent à de simples avertissements ou à des transactions, de sorte que, si la discrétion est souhaitable, le contrôle fait en présence de caméras ne viole ni le secret de l'enquête ni aucune forme prescrite par la loi à peine de nullité. La cour d'appel, sur ce point, a ajouté que la société ne justifiait par ailleurs d'aucun grief tiré de la forme des constatations puisque le procès-verbal du contrôle, mené exclusivement sur pièces et documents, ne s'appuie sur aucun élément testimonial qui aurait pu être dicté par l'émotion due à la présence d'une caméra.
En outre, la cour d'appel, après avoir rejeté l'exception de nullité, a déclaré la société coupable de pratique commerciale trompeuse.
Ainsi condamnée, la société a formé un pourvoi en cassation.
Le premier moyen développé critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité soulevées par la société alors que selon le demandeur au pourvoi, les agents de la direction départementale de la protection des populations concourent à la procédure au sens de l'article 11 du code de procédure pénale et sont en conséquence bien tenus au secret professionnel, en dépit de ce qu'a pu juger la cour d'appel.
Sur ce point, la chambre criminelle a jugé qu'il résultait des articles 11 et 28 du code de procédure pénale que les agents ou fonctionnaires auxquels les lois spéciales mentionnées à l'article 28 du code de procédure pénale attribuent des pouvoirs de police judiciaire sont soumis au secret de l'enquête. De telle sorte que la présence d'un tiers ayant obtenu d'une autorité publique l'autorisation de capter, par le son ou l'image, fût-ce dans le but d'informer le public, le déroulement des actes d'enquête auxquels procèdent ces agents ou fonctionnaires constitue une violation de ce secret, cette violation portant nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée.
Le code de procédure pénale définit la fonction de la police judiciaire et en liste les personnes qui s'en voient chargées. D'une part, la police judiciaire constate les infractions, rassemble les preuves et recherche leur auteur ; d'autre part, elle comprend notamment « les fonctionnaires et agents auxquels sont attribuées par la loi certaines fonctions de police judiciaire ». Cette définition permet donc d'attribuer des prérogatives d'enquête à d'autres agents publics que les policiers ou gendarmes et de qualifier d'opération de police judiciaire toute investigation portant sur une infraction pénale accomplie par ces agents.
La compétence des autres agents figure à l'article 28 du code de procédure pénale. Celui-ci dispose que les « fonctionnaires et agents des administrations et services publics auxquels des lois spéciales attribuent certains pouvoirs de police judiciaire exercent ces pouvoirs dans les conditions et dans les limites fixées par ces lois ». Sont visées les personnes appartenant à l'une des trois fonctions publiques mais aussi les agents travaillant au sein d'une administration, quel que soit leur statut.
D'après l'arrêt soumis à analyse, les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes font bien partie des personnes entrant dans les prévisions de l'article 28 du code de procédure pénale.
Ces agents sont habilités à rechercher et constater les infractions ou manquements au code de la consommation (art. L. 511-3, L. 511-5 et L. 511-6) et ces fonctionnaires sont en conséquence tenus au secret professionnel puisqu'ils concourent bien à la procédure au sens de l'article 11 du code de procédure pénale. L'article 11, alinéas 1 et 2, du code de procédure pénale dispose en effet que, « sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête est secrète. Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du code pénal ».
Les agents de la DDPP, issue de la fusion de la direction départementale des services vétérinaires et de l'unité départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (créée par le décr. n° 2010-687, 24 juin 2010), sont donc bien soumis au secret professionnel comme l'indique la chambre criminelle dans cet arrêt.
En outre, et toujours s'agissant de ce second moyen, il convient de rappeler que pour que la validité d'un acte soit altérée par la violation du secret de l'enquête il faut, en application de l'article 802 du code de procédure pénale, que cette violation ait eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la personne qu'elle concerne.
La chambre criminelle a déjà pu juger que l'exécution d'une perquisition en présence d'un tiers qui, ayant obtenu d'une autorité publique une autorisation à cette fin, en capte le déroulement par le son ou l'image, porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne qu'elle concerne, en violation du secret de l'enquête ou de l'instruction (Crim. 9 janv. 2019, n° 17-84.026, Dalloz actualité, 18 janv. 2019, obs. S. Fucini ; A. Dejean de la Bâtie, Le secret de l'instruction résiste encore et toujours à l'instruction du public, AJ pénal 2019. 144 ; E. Derieux, Secret de l'enquête : conséquences de la présence d'un journaliste lors d'une perquisition, Légipresse 2019. 90 ; 10 janv. 2017, n° 16-84.740, Dalloz actualité, 30 janv. 2017, obs. S. Fucini ; F. Cordier, Violation du secret de l'enquête ou de l'instruction et validité de l'acte accompli : la rigueur accrue de la chambre criminelle, RSC 2017. 334 ; E. Dreyer, Secret de l'enquête : un journaliste ne peut assister à un acte de police judiciaire, Légipresse 2017. 81 ; D. 2017. 113 ; ibid. 1676, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2017. 140, obs. J.-B. Thierry ).
Si la Cour de cassation n'a, par ces arrêts, statué qu'en matière de perquisition, il ressort de cet arrêt du 9 mars 2021 qu'elle a considéré que les conditions du contrôle effectué en l'espèce par les agents de la DDPP s'apparentaient aux conditions d'une perquisition. C'est ainsi qu'elle a pu juger que la présence au cours du contrôle effectué par des agents de la DDPP, de personnes étrangères à la procédure venues pour filmer les opérations, a nécessairement porté atteinte aux intérêts de la société concernée.
Le deuxième moyen de cassation fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré la société coupable de pratique commerciale trompeuse alors que les personnes morales, à l'exception de l'État, ne peuvent être déclarées pénalement responsables que s'il est établi qu'une infraction a été commise, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. Or, en déclarant la société coupable de pratique commerciale trompeuse, sans rechercher par quel organe ou représentant le délit reproché à cette société avait été commis pour son compte, la cour d'appel aurait méconnu les articles 121-2 du code pénal, 121-2 du code de la consommation, 591 et 593 du code de procédure pénale.
La chambre criminelle, sur le fondement des articles 121-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale, rappelle notamment que les personnes morales, à l'exception de l'État, sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. Or, précise-t-elle, la cour d'appel, pour retenir la responsabilité de la personne morale, s'est bornée à rappeler l'identité du président de la société « sans mieux déterminer par quel organe ou représentant de la société les manquements qu'elle a constatés ont été commis pour le compte de celle-ci ». En jugeant ainsi, la cour d'appel n'a pas, selon la chambre criminelle, justifié sa décision.
Il s'agit là d'une solution désormais classique de la chambre criminelle, laquelle a déjà pu juger que l'arrêt qui déclare une société coupable de pratique commerciale trompeuse sans rechercher par quel organe ou représentant le délit reproché à la personne morale a été commis pour son compte doit être cassé (Crim. 9 sept. 2014, n° 13-85.079, RTD com. 2014. 882, obs. B. Bouloc ; 2 déc. 2014, n° 13-86.990 ; 10 nov. 2015, n° 14-86.799).
Il est vrai cependant qu'il est arrivé à la chambre de rejeter des pourvois contre des arrêts comportant peu d'éléments de nature à identifier l'organe ou le représentant ayant agi pour le compte de la personne morale. Cela étant dit, il ressort de la jurisprudence récente rendue en la matière (Crim. 16 avr. 2019, n° 18-84.073, Bull. crim. n° 77 ; Dalloz actualité, 16 mai 2019, obs. S. Fucini ; AJDA 2019. 906 ; D. 2019. 819 ; RSC 2019. 369, obs. E. Monteiro ; RTD com. 2019. 517, obs. B. Bouloc ; B. Bouloc, Pollution organique d'un cours d'eau. Responsabilité d'une commune, RTD com. 2019. 517 ; E. Monteiro, Délits de pollution des eaux des articles L. 216-6 et L. 432-2 du code de l'environnement et responsabilité pénale de la commune, RSC 2019. 369 ; 16 mai 2018, n° 17-81.236 ; 11 juill. 2017, n° 16-83.415) que la chambre criminelle n'accepte plus que les juges du fond raisonnent en faisant totalement abstraction de l'intervention d'un organe ou d'un représentant de la personne morale dans la commission de l'infraction et qu'elle leur impose, d'une part, de motiver leur décision sur ce point et, d'autre part, de rechercher par eux-mêmes quelle personne a commis les faits et si elle possède la qualité d'organe ou de représentant.
Par Sofian Goudjil
Source : Crim. 9 mars 2021, FS-P+B+I, n° 20-83.304
© DALLOZ 2021