Vidéosurveillance sur la voie publique durant l'enquête : conditions d'autorisation
Le procureur de la République tient des articles 39-3 et 41 du code de procédure pénale le pouvoir de faire procéder, sous son contrôle effectif et selon les modalités qu'il autorise s'agissant de sa durée et de son périmètre, à une vidéosurveillance sur la voie publique, aux fins de rechercher la preuve des infractions à la loi pénale.
La réalisation d'actes non encadrés par la loi durant l'enquête n'est pas formellement exclue par le code de procédure pénale, qui donne pouvoir au procureur de la République de procéder ou faire procéder à tous les actes utiles à la recherche des infractions pénales. Toute la difficulté est alors de déterminer si l'acte, en raison de l'atteinte qu'il peut porter à un droit fondamental, nécessite ou non d'être prévu par la loi. C'est ainsi que la chambre criminelle, par un arrêt du 8 décembre 2020, a affirmé que le procureur de la République avait le pouvoir de faire procéder à une vidéosurveillance sur la voie publique « sous son contrôle effectif et selon les modalités qu'il autorise s'agissant de sa durée et de son périmètre » à des fins probatoires. La chambre criminelle a ajouté que, « l'ingérence dans la vie privée qui résulte d'une telle mesure présentant par sa nature même un caractère limité et étant proportionnée au regard de l'objectif poursuivi, elle n'est pas contraire à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ». Au visa de ces principes, la chambre criminelle a rejeté le pourvoi contre un arrêt de chambre de l'instruction, mais en en critiquant la motivation. En effet, les juges du fond avaient affirmé que la mise en place d'une vidéosurveillance sur la voie publique était insusceptible de porter atteinte à la vie privée et, partant, qu'un tel dispositif peut être mis en œuvre par un officier de police judiciaire sur le seul fondement de l'article 14 du code de procédure pénale. La chambre criminelle a affirmé que la chambre de l'instruction ne pouvait rejeter toute atteinte à la vie privée, mais a ajouté que « l'arrêt n'encourt cependant pas la censure, dès lors qu'il résulte de ses propres constatations que le procureur de la République a spécialement autorisé les enquêteurs à installer le dispositif contesté selon des modalités précises et qu'il en a effectivement assuré le contrôle ». La chambre criminelle apporte ce faisant des précisions sur les conditions de réalisation d'actes non prévus par la loi durant l'enquête.
La réalisation d'une vidéosurveillance sur la voie publique n'est pas un acte prévu par le code de procédure pénale. Ce dernier prévoit les mesures de sonorisation et de fixation d'images, mais il s'agit d'enregistrer, fixer, capter ou transmettre l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé (C. pr. pén., art. 706-96). Par ailleurs, par des réquisitions, les enquêteurs peuvent obtenir, sans autorisation du procureur de la République en enquête de flagrance (C. pr. pén., art. 60-1) et avec son autorisation en enquête préliminaire (C. pr. pén., art. 77-1-1), les enregistrements de système de vidéoprotection installés par une autorité publique ou une personne privée. En revanche, rien ne prévoit la réalisation par les enquêteurs eux-mêmes d'une captation d'images sur la voie publique. La légalité de cet acte ne semble pourtant faire que peu de doutes. En effet, le législateur a encadré la captation d'images d'une personne dans un lieu privé sans prévoir la même chose sur la voie publique, qui est pourtant un acte bien moins attentatoire à la vie privée. En outre, du strict point de vue du droit pénal, il n'y a atteinte à l'intimité de la vie privée qu'en cas de captation de l'image d'une personne dans un lieu privé (C. pén., art. 226-1). Si la personne se trouve sur la voie publique, la captation ou l'enregistrement de son image n'est pas constitutive d'un délit. Traditionnellement, la chambre criminelle va plus loin en admettant en dehors de toute prévision légale la prise de photographies d'un lieu privé visible depuis la voie publique (Crim. 21 mars 2007, n° 06-89.444, D. 2007. 1204, obs. A. Darsonville ; ibid. 1817, chron. D. Caron et S. Ménotti ; AJ pénal 2007. 286, obs. G. Royer ; RSC 2007. 841, obs. R. Finielz ; ibid. 897, obs. J.-F. Renucci ; ibid. 2008. 655, obs. J. Buisson). Dès lors, une mesure de vidéosurveillance sur la voie publique ne devrait pas poser de difficultés si l'on considère qu'il n'y a là aucune atteinte à l'intimité de la vie privée.
Cependant, ce n'est pas la première fois que la chambre criminelle se prononce sur la mise en œuvre d'une mesure de vidéosurveillance sur la voie publique. Elle s'est déjà prononcée dans le cadre d'une information judiciaire, par un arrêt où elle avait énoncé, de la même manière, que l'ingérence dans la vie privée causée par cet acte présente, par sa nature même, un caractère limité qui est proportionné à l'objectif poursuivi, de telle sorte qu'il peut être autorisé par le juge d'instruction sur le seul fondement de l'article 81 du code de procédure pénale (Crim. 11 déc. 2018, n° 18-82.365, Dalloz actualité, 18 janv. 2018, obs. S. Fucini ; D. 2019. 15 ; ibid. 1568, chron. L. Ascensi, A.-L. Méano, C. Carbonaro et A.-S. de Lamarzelle ; AJ pénal 2019. 101, obs. P. de Combles de Nayves ; RSC 2019. 417, obs. F. Cordier). La Cour de cassation reprend ici la même solution dans le cadre d'une enquête et exige ainsi, en raison de l'ingérence, même limitée, dans la vie privée, une autorisation du procureur de la République. Le raisonnement fait penser à celui qu'avait tenu la Cour de cassation à propos de la géolocalisation, mais en adoptant une solution différente. En effet, s'agissant de la géolocalisation, la Cour de cassation avait considéré, avant sa consécration légale, qu'elle pouvait être autorisée par le juge d'instruction sur le fondement de l'article 81 du code de procédure pénale (Crim. 22 nov. 2011, n° 11-84.308, Dalloz actualité, 15 déc. 2011, obs. C. Girault ; D. 2011. 2937 ; ibid. 2012. 171, chron. C. Roth, A. Leprieur et M.-L. Divialle ; ibid. 2118, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2012. 293, obs. J. Lasserre Capdeville ; 22 oct. 2013, n° 13-81.945, Dalloz actualité, 5 nov. 2013, obs. M. Bombled ; D. 2014. 115, note H. Matsopoulou ; ibid. 311, chron. B. Laurent, C. Roth, G. Barbier et P. Labrousse ; AJ pénal 2013. 668, note L. Ascensi ; D. avocats 2014. 24, obs. J. Danet) mais qu'elle ne pouvait pas l'être par le procureur de la République sur le fondement de l'article 41 (Crim. 22 oct. 2013, n° 13-81.949, Dalloz actualité, 5 nov. 2013, obs. M. Bombled, préc. ; D. 2014. 115, note H. Matsopoulou ; ibid. 311, chron. B. Laurent, C. Roth, G. Barbier et P. Labrousse ; AJ pénal 2013. 668, note L. Ascensi ; 14 janv. 2014, n° 13-84.909, Dalloz actualité, 4 févr. 2014, obs. M. Bombled ; 19 nov. 2013, n° 13-84.909, Dalloz actualité, 4 déc. 2013, obs. M. Bombled ; D. 2013. 2779). Elle estimait que cet acte constituait une ingérence importante dans la vie privée qui imposait le contrôle d'un magistrat du siège. S'agissant de la vidéosurveillance sur la voie publique, elle n'a pas repris la même solution. En effet, en affirmant que l'ingérence dans la vie privée présente un caractère limité, elle permet à un magistrat du parquet de mettre en œuvre cette mesure sur le fondement de l'article 41 du code de procédure pénale. Mais parce qu'il y a tout de même une ingérence, l'intervention de ce magistrat est nécessaire, afin qu'il précise la durée et le périmètre de la mesure. De cette jurisprudence de la Cour de cassation on peut en déduire, s'agissant des actes non prévus par la loi, que ceux qui ne causent aucune atteinte à un droit fondamental peuvent être mis en œuvre à l'initiative de l'enquêteur, ceux qui causent par leur nature une ingérence limitée peuvent être autorisés par le procureur de la République ou par le juge d'instruction, ceux qui causent une atteinte un peu plus forte ne peuvent être autorisés que par le juge d'instruction et ceux qui causent une atteinte importante à un droit fondamental doivent être expressément prévus par la loi.
Pour autant, cette solution est problématique du point de vue de la justification de la restriction à un droit fondamental dans la Convention européenne des droits de l'homme. En effet, pour être conforme à la Convention, l'atteinte à un droit, tel que le droit à la vie privée doit, en plus d'être justifiée et proportionnée, être prévue par la loi. Parce que des mesures de géolocalisation avaient été mises en œuvre en dehors de toute prévision légale, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France (CEDH 8 févr. 2018, Ben Faiza c. France, n° 31446/12, Dalloz actualité, 6 mars 2018, obs. N. Nalepa ; D. 2018. 352). Pour la Cour de Strasbourg, la vidéosurveillance sur la voie publique peut porter atteinte à la vie privée, comme l'affirme d'ailleurs la chambre criminelle. Ainsi, si la surveillance d'un individu sur la voie publique par un système de prise de vues sans enregistrement des images ne porte pas atteinte au droit à la vie privée (CEDH 28 janv. 2003, Peck c. Royaume-Uni, n° 44647/98), tout comme le fait d'observer un lieu public par des moyens techniques, il en va autrement en cas d'enregistrement systématique et permanent (CEDH 25 sept. 2001, PG et JH c. Royaume-Uni, n° 44787/98). L'exigence de l'intervention d'un magistrat du parquet permet alors de s'assurer du caractère strictement limité dans le temps et dans l'espace de la mesure, et éviter ainsi qu'elle ne constitue une atteinte à la vie privée tombant sous le coup de l'article 8. L'intervention du procureur de la République semble alors se justifier ici non pas parce que l'acte porte atteinte à la vie privée mais parce qu'il est susceptible d'y porter atteinte, son intervention permettant de s'assurer que ce n'est pas le cas.
Par Sébastien Fucini
Source : Crim. 8 déc. 2020, FS-P+B+I, n° 20-83.885.
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