TIG 360° : concrétiser l'alternative à la prison
Depuis début octobre, les avocats peuvent accéder à la plateforme TIG 360° afin de connaître l'ensemble des travaux d'intérêt général disponibles sur le territoire. Une évolution numérique menée avec le ministère de la Justice et qui accompagne l'essor du droit de la peine, que l'avocat peut désormais plaider dès l'audience devant le tribunal correctionnel.
Une cartographie dématérialisée
« Cet outil, c'est une petite révolution », s'enthousiasme Adélina Gallet, référente territoriale dans l'Yonne et la Nièvre pour l'agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle (ATIGIP), à propos de la plateforme TIG 360°. Conçue par l'ATIGIP, avec le ministère de la Justice, elle permet à l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale de visualiser, de manière géolocalisée et en temps réel, le panel d'offres de travaux d'intérêt général disponibles sur le territoire. Sur le fond, la référente le décrit comme « vraiment utile » : « nous avons pris conscience que si les TIG n'étaient pas toujours prononcés par le juge d'application des peines (JAP), c'est qu'il y avait une méconnaissance de l'offre et qu'APPI (le logiciel qui centralise les données disponibles) n'était pas toujours mis à jour », explique-t-elle. Problématique que TIG 360° entend résoudre grâce au travail des soixante-douze référents territoriaux de France, chargés de reprendre les données disponibles, de les vérifier et de les actualiser mais aussi d'alimenter ce nouvel outil par un travail de prospection de nouvelles structures volontaires pour accueillir des personnes condamnées à un travail d'intérêt général, dites « TIGistes ». Sur la forme, elle évoque un instrument « très simple » qui « ressemble à Google Maps » : une cartographie dématérialisée avec différents points épinglés dans un périmètre choisi, en France, ceux-ci correspondant à des postes disponibles, avec toutes les informations pratiques (adresse, horaires, accessibilité, ouverture ou non le week-end, etc.).
D'abord ouverte aux référents territoriaux en novembre 2019, aux magistrats et aux greffiers depuis février 2020, la plateforme est accessible aux 13 500 structures d'accueil depuis juillet 2021 et aux 71 000 avocats depuis début octobre. Reste une étape dans ce déploiement progressif, avant que la gestion du TIG ne devienne entièrement dématérialisée : l'ouverture aux personnes condamnées, qui pourront ainsi s'approprier leur mesure et consulter les informations pratiques. Adélina Gallet y voit « une forme de responsabilisation » de l'individu, engagé dans son propre parcours de sanction. Le but de cet outil : permettre aux autorités judiciaires de vérifier, au cours de l'audience, que si une peine d'intérêt général est prononcée, elle pourra réellement être appliquée. L'avocat, lui, pourra plaider en toute connaissance de l'offre présente sur le territoire de son client. Plus largement, l'enjeu est de tenter de faire du TIG « la peine de référence pour la majorité des délits et contraventions (délits routiers, vols simples, usages de produits stupéfiants, contraventions de cinquième classe, etc.) », explique l'agence sur son site internet.
Favoriser la réinsertion et réduire la récidive
« TIG 360° s'inscrit dans un mouvement de désinflation carcérale dans lequel avocats et magistrats ont un rôle actif à jouer, résume Laurence Roques, présidente de la commission Libertés et droits de l'homme du Conseil national des barreaux (CNB), associé par le ministère de la Justice à la mise en place de cette plateforme. Le but est de faire rentrer dans leur esprit l'idée de l'alternative à la peine. Il existe encore trop de courtes peines de prison. » Tout démarre en 2018, avec la création de l'ATIGIP, un service à compétence nationale au sein du ministère, visant à développer les TIG en France. La surpopulation carcérale explose – elle s'élève actuellement en moyenne « à plus de 110 % en maison d'arrêt » et « entre 150 et 200 % dans certains établissements », rappelle l'ATIGIP sur son site. La France sera d'ailleurs condamnée pour la première fois deux ans plus tard, le 30 janvier 2020, par la Cour européenne des droits de l'homme, dans un arrêt J.M.B. et autres contre France qui reconnaît le caractère « structurel » de cette problématique et recommande de s'y atteler par des mesures concrètes.
L'agence a précisément vocation à résoudre cette question, ainsi que l'inactivité en prison – à cet égard, une autre plateforme sera créée, IPRO 360°, une cartographie en libre accès des lieux d'activité du travail pénitentiaire. L'enjeu est également de favoriser la réinsertion et de réduire la récidive, sachant que « 59 % des personnes sortant de prison sont recondamnées dans les cinq ans suivant leur sortie », poursuit l'ATIGIP. Dernier objectif : développer des alternatives à l'emprisonnement.
Le TIG a été créé en 1986 par le ministre de la Justice de l'époque, Robert Badinter, dans un contexte, déjà, de surpopulation carcérale. Trente-cinq ans plus tard, il ne représente que « 3,5 % des peines prononcées » alors que « près de 80 % des TIG sont effectués avec succès et que la récidive après un TIG est plus faible qu'après une courte peine de prison », précise l'agence. Le constat : « il n'existe pas assez de postes de TIG disponibles, ce qui aboutit à des délais d'exécution longs et la mesure perd de son sens car, entre-temps, la personne peut avoir trouvé un travail, s'être insérée », explique Emmanuelle Masson, porte-parole du ministère. Depuis, les chiffres sont en hausse. « Au 1er janvier 2019, il existait 17 500 lieux de TIG. Aujourd'hui, nous sommes à 21 000, soit 27 000 places », précise-t-elle. Au total, 42 960 TIG ont été exécutés sur l'année 2019 (avec une durée moyenne de 105 heures), un même poste pouvant être occupé par plusieurs TIGistes sur l'année. À noter : la moyenne d'âge du TIGiste est de 27 ans et 92 % sont effectués par des hommes.
Une évolution du rôle de l'avocat et des magistrats
« Le TIG est la peine qui a le plus de sens pour les personnes désocialisées ou moins socialisées, parce que cela donne un objectif aux personnes condamnées et c'est utile pour la société », assure Amélie Morineau, avocate spécialisée en droit de la peine. Cette mesure, également, crée un consensus comme l'explique Adélina Gallet, en lien régulier avec des collectivités territoriales : « Peu importe l'orientation politique de l'élu, tout le monde voit l'intérêt du TIG. C'est une peine visible, qui permet de réparer l'infraction et d'insérer ou de réinsérer l'individu. » Une sanction rendue « lisible » pour les acteurs de la chaîne pénale grâce à la plateforme TIG 360°. Dans un webinaire du CNB sur les outils numériques du droit pénal, une trentaine de minutes est consacrée à cette plateforme ainsi qu'aux évolutions de la législation avec la loi de programmation du 23 mars 2019. Invitée à intervenir avec Laurence Roques et Philippe Baron, président de la commission numérique du CNB, Amélie Morineau se félicite de l'augmentation du périmètre des TIG avec une durée de quatre cents heures maximum, toujours sur dix-huit mois : « c'est absolument considérable ». Elle alerte également sur l'importance de plaider la peine, en l'occurrence le TIG, devant le tribunal correctionnel et non plus devant le juge d'application des peines comme auparavant.
« La loi de programmation est venue donner un coup d'accélérateur au droit de la peine, explique-t-elle à Dalloz. Désormais, la peine prononcée sera celle exécutée. Et l'avocat devra la plaider dès l'audience en apportant au tribunal tous les éléments pour obtenir celle la plus adaptée et prouver qu'elle pourra être exécutée. » Au-delà des éléments de personnalité et de la situation personnelle du prévenu, l'avocat pourra, grâce à l'accès à la plateforme, se renseigner sur les TIG disponibles sur le territoire de son client et les porter à la connaissance du tribunal. Juges et avocats voient ainsi leur rôle évoluer au profit d'une individualisation de la peine dès l'audience, le JAP devenant, lui, le « chef d'orchestre de la peine » tandis que, sous son contrôle, les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) seront chargés de trouver la juste place pour le TIGiste et de déterminer les modalités. « Dans les faits, les SPIP nous suivent, souligne Adélina Gallet. Le problème, souvent, c'est la mobilité des gens, le maillage territorial. » D'où l'importance du travail des référents territoriaux qui, souvent, prospectent et forment à l'échelle de deux départements. L'avocat peut, lui aussi, proposer des postes TIG directement sur la plateforme. Philippe Baron constate que certains confrères ont pu émettre des critiques sur le fait de plaider un TIG dans une affaire où la relaxe est demandée. Lui voit là une « alternative à proposer » : « L'idée, c'est que, si l'avocat sait que son client peut prendre une peine de prison ferme, il s'y oppose. Il est de notre responsabilité de plaider un TIG et de l'expliquer au juge en toute connaissance de cause. »
L'appropriation par les avocats
Le CNB a travaillé plusieurs mois avec la Chancellerie sur cet « outil supplémentaire pour l'avocat dans la façon d'appréhender son travail », estime la porte-parole, Emmanuelle Masson. En particulier, le ministère a collaboré avec la commission numérique, au même titre que pour le dispositif PLEX qui permet de faciliter les échanges d'information, ou le réseau Wifi avocats, qui doit permettre de contourner les problèmes de connexion dans certains palais de justice. « La plateforme TIG 360° était déjà conçue quand nous sommes arrivés sur le projet mais il fallait sécuriser les accès », explique Philippe Baron. Deux formules ont été envisagées : utiliser la clé RPVA dont dispose chaque avocat et qui lui est retirée s'il quitte la profession, ou une alternative. C'est la seconde voie qui a été choisie par le ministère. « Les avocats n'ont pas toujours leur clé RPVA sur eux. Nous avons opté pour un système plus simple, presque aussi sécure qu'une banque », relate le président de la commission numérique. Afin d'aider la profession à s'approprier l'outil, le CNB a conçu un manuel d'utilisation d'une dizaine de pages avec des captures d'écran de TIG 360° afin d'avancer sur la plateforme pas à pas, et l'ATIGIP propose également sur son site internet des explications. Outre le webinaire, des formations sont également proposées aux barreaux, aux tribunaux, aux structures d'accueil TIG et aux SPIP, notamment par les référents territoriaux, qui jouent le rôle d'interface entre les interlocuteurs.
L'association des avocats pour la défense des détenus (A3D) que préside Amélie Morineau a désormais intégré dans ses formations la nouvelle loi de programmation ainsi que la plateforme TIG 360°. « Pour une fois que le ministère de la Justice développe un outil pratique, simple, intuitif et qui fonctionne, il faut s'en réjouir », ironise-t-elle. « C'est un logiciel qui n'est pas figé, qui évolue en fonction des retours, au plus proche du terrain. Il a été vraiment bien pensé », confirme Adélina Gallet. Pour l'heure, il reste peu utilisé par les avocats : « environ une dizaine de connexions par jour », relève Philippe Baron. « Nous sommes encore dans les balbutiements, il faut le temps que les confrères s'y mettent », justifie-t-il. Laurence Roques espère poursuivre la dynamique lancée sur la mandature du CNB au sujet de l'alternative à la prison. Sa commission réfléchit à plusieurs initiatives, comme multiplier les partenariats avec l'ATIGIP, intervenir dès l'école des avocats, mutualiser les formations avec les magistrats, etc. « Nous allons poursuivre ce partenariat avec le ministère de la Justice et leur proposer un droit de retour sur ce projet, développe la présidente de la commission Libertés et droits de l'homme. Dans six mois, nous pourrons interroger les confrères pour faire un bilan. Aujourd'hui, il est encore trop tôt. »
Anaïs Coignac
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