Retour sur le caractère significatif du déséquilibre affectant une clause
Il incombe aux juges du fond, examinant le caractère abusif d'une clause prévoyant un calcul des intérêts sur la base d'une année de trois cent soixante jours, d'un semestre de cent quatre-vingts jours, d'un trimestre de quatre-vingt-dix jours et d'un mois de trente jours, d'apprécier quels sont ses effets sur le coût du crédit, afin de déterminer si elle entraîne ou non un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
On insiste bien volontiers sur le déséquilibre qui se trouve au cœur de la notion de clause abusive, mais il ne faut pas oublier qu'un tel déséquilibre doit être significatif au détriment du consommateur pour être pris en considération (V. à ce sujet, S. Chaudouet, Le déséquilibre significatif, Thèse Montpellier, 2018, spéc. n° 360. V. égal. C.-L. Péglion-Zika, La notion de clause abusive. Étude de droit de la consommation, préf. L. Leveneur, LGDJ, coll. « Bibl. dr. privé », t. 585, 2018, spéc. nos 290 s.). L'article L. 212-1 du code de la consommation (art. L. 132-1 antérieurement à l'ord. n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation) dispose en effet, en son alinéa 1er, que « Dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».
L'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 9 septembre 2020 nous rappelle opportunément cette exigence. En l'espèce, suivant offre acceptée le 19 janvier 2013, une banque a consenti à des emprunteurs deux prêts destinés à l'acquisition d'un bien immobilier, le premier ayant fait l'objet d'un remboursement anticipé en juin 2014 et le second ayant été modifié par avenant du 25 septembre 2015. Soutenant que la clause du contrat qui prévoyait un calcul des intérêts sur la base d'une année de trois cent soixante jours présentait un caractère abusif, les emprunteurs ont assigné la banque en substitution de l'intérêt légal et remboursement des intérêts déjà versés excédant le taux légal.
La cour d'appel de Limoges, dans un arrêt du 7 février 2019, a déclaré cette clause abusive, en retenant que la stipulation qui fait référence à un calcul des intérêts sur une durée de trois cent soixante jours et non d'une année civile de trois cent soixante-cinq jours prive les consommateurs de la possibilité de calculer le coût réel de leur crédit, qu'elle présente comme telle un caractère abusif, quelle que soit l'importance de son impact réel et qu'elle doit être déclarée non écrite. Mais l'arrêt est censuré au visa de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016. La Cour régulatrice rappelle à cette occasion « qu'il incombe aux juges du fond, examinant le caractère abusif d'une clause prévoyant un calcul des intérêts sur la base d'une année de trois cent soixante jours, d'un semestre de cent quatre-vingts jours, d'un trimestre de quatre-vingt-dix jours et d'un mois de trente jours, d'apprécier quels sont ses effets sur le coût du crédit, afin de déterminer si elle entraîne ou non un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».
La solution est parfaitement justifiée dans la mesure où un simple déséquilibre ne suffit pas à caractériser l'abus.
Encore faut-il, comme susdit, que ce déséquilibre soit significatif. Or, tel n'était manifestement pas le cas en l'occurrence puisque l'examen des faits révèle que la clause avait généré un surcoût d'un montant de 11,65 euros au détriment des emprunteurs par rapport au calcul sur la base d'une année civile de trois cent soixante-cinq jours (comp. G. Biardeaud, obs. in Lexbase, Hebdo édition affaires n° 649 du 1er oct. 2020 : Bancaire). Au demeurant, le fondement sur lequel les emprunteurs ont choisi d'attaquer cette stipulation était mal choisi dans la mesure où le déséquilibre significatif est de nature juridique et non économique, ce qui reviendrait à admettre la lésion (V. en ce sens, D. Bazin-Beust, Droit de la consommation, 4e éd., Gualino, Lextenso, coll. « Mémentos », 2020, p. 156 ; J.-D., Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2019, n° 100 ; Y. Picod, Droit de la consommation, 4e éd., 2018, Sirey, n° 317 ; S. Piedelièvre, Droit de la consommation, 2e éd., Economica, 2014, n° 456. V. cependant Commission des clauses abusives, recommandation n° 05-02, 20 sept. 2005, considérant « qu'une telle clause, qui ne tient pas compte de la durée réelle de l'année civile et qui ne permet pas au consommateur d'évaluer le surcoût qui est susceptible d'en résulter à son détriment, est de nature à créer un déséquilibre significatif au détriment du consommateur »).
On comprend néanmoins qu'ils aient été tentés par ce fondement : certes, la Cour de cassation condamne la clause prévoyant le calcul des intérêts sur la base d'une année de trois cent soixante-cinq jours (dite lombarde) dans les rapports entre professionnels et consommateurs.
Mais elle a précisé par la suite que le surcoût résultant d'une telle clause devait être supérieur à la décimale et entraîner un préjudice à l'égard de l'emprunteur. Or, en l'espèce, le préjudice subi par les emprunteurs était dérisoire et il eût été disproportionné de substituer l'intérêt légal à l'intérêt conventionnel. Les intéressés ont donc (habilement mais en vain) tenté d'obtenir par la voie des clauses abusives ce qu'ils n'auraient pu obtenir en mettant en cause directement la licéité de la clause.
La portée de la présente solution est d'ailleurs susceptible de s'étendre au-delà des frontières du droit de la consommation, le déséquilibre significatif ayant été consacré au sein du code de commerce (art. L. 442-1, 2°, rédac. ord. n° 2019-359 du 24 avr. 2019 : « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services : (…) De soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». V. à ce sujet, H. Hadj-Aïssa, Contribution critique à l'étude du déséquilibre significatif au sens de l'article L. 442-1 du code de commerce, Thèse Univ. Lorraine [dir. X. Henry], 2019) et du code civil [art. 1171, rédac. L. n° 2028-287 du 20 avr. 2018] : « Dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation »).
Somme toute, il y a là une belle illustration de l'adage De minimis non curat praetor.
Source : Civ. 1re, 9 sept. 2020, FS-P+B, n° 19-14.934
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