Répression du refus de se soumettre à des prélèvements biologiques et relevés signalétiques

Les infractions de refus de se soumettre à un prélèvement biologique ou à des relevés signalétiques peuvent être réprimées quand bien même l'infraction à l'occasion de laquelle ils devaient être réalisés a fait l'objet d'une décision de relaxe.

Si d'aucuns se questionnaient sur l'effectivité de la liberté de manifester en France en pleine crise des gilets jaunes, force est de constater que la Cour de cassation n'a pas encore fini de statuer sur la conformité des nombreuses procédures ouvertes lors de ces événements. L'arrêt rendu par la chambre criminelle le 28 octobre 2020 est l'occasion, s'il le fallait encore, de réaffirmer certaines solutions désormais classiques en matière de garde à vue, mais également d'apporter des précisions intéressantes sur la répression des infractions de refus de se soumettre à des prélèvements biologiques et à des relevés signalétiques.

Les faits étaient relativement simples : lors d'une manifestation non déclarée de gilets jaunes, un affrontement avait éclaté entre manifestants et forces de l'ordre. Un groupe de manifestants s'en était pris au commissariat de police en commettant diverses dégradations. Plusieurs personnes avaient alors été interpellées, dont la requérante. Elle fut rapidement placée en garde à vue et traduite en comparution immédiate devant le tribunal correctionnel qui la condamnait pour les faits de dégradations aggravées et refus de se soumettre aux relevés signalétiques et aux prélèvements biologiques. Un appel avait alors été formé par la prévenue et par le ministère public. En appel, elle avait été relaxée des chefs de dégradations aggravées mais condamnée pour le refus de soumission au prélèvement et aux relevés signalétiques. Deux types de moyens étaient alors soulevés, les premiers concernant la régularité de la garde à vue de la prévenue, les autres la caractérisation des infractions de refus de se soumettre aux prélèvements et relevés.

La réaffirmation des exigences liées à la garde à vue

Concernant l'aspect procédural, la requérante soulevait devant la Cour de cassation différentes exceptions de nullité de la garde à vue, tant au sujet de la notification de ses droits que vis-à-vis d'une information tardive du procureur sur l'existence de cette mesure. Elle avait en effet été interpellée puis placée en garde à vue à 22h10, le procureur avait été informé de la mesure à 23h04 et s'en était suivie la notification de ses droits à 23h20, par l'intermédiaire d'un interprète qui l'avait assistée par téléphone, faute de pouvoir se déplacer.

Pour ce qui est de la notification des droits, la Cour de cassation exige traditionnellement, en application de l'article 63-1 du code de procédure pénale, que « tout retard dans la mise en œuvre de cette obligation non justifiée par une circonstance insurmontable porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée » (Crim. 14 déc. 1994, Bull. crim. nos 302 et 303 ; 2 mai 2000, n° 01-88.453 ; v. égal. Rép. pén., Enquête de flagrance, par R. Gauze, nos 116 s.). La logique est la même concernant la notification au parquet de l'existence de la mesure. L'article 63, alinéa 2, du code de procédure pénale prévoit en effet que le procureur de la République doit être informé du placement en garde à vue « dès le début de la mesure », sauf à prouver, encore une fois, l'existence de circonstances insurmontables. Aussi la Cour a-t-elle pu juger qu'un délai de 15 minutes n'était pas excessif pour notifier les droits mais qu'en revanche un délai de 30 minutes était excessif dès lors que n'étaient pas démontrées l'existence de circonstances insurmontables. En l'espèce, le procureur avait été avisé 54 minutes après le début de la mesure et les droits avaient été notifiés 1h10 après ce délai. Cela semblait donc constituer une notification tardive, sauf si la preuve de circonstances insurmontables était rapportée. La requérante soulevait différents arguments afin de démontrer qu'il n'existait pas de telles circonstances et donc que la notification avait été tardive. Elle considérait notamment que le calme avait été rétabli et que la manifestation ne pouvait plus être analysée comme une circonstance insurmontable liée au « climat insurrectionnel ». Elle avançait également que la nécessité d'avoir recours à un interprète n'était pas à elle seule constitutive d'une circonstance insurmontable en l'absence de démonstration de l'impossibilité de faire appel à un interprète immédiatement lors de son placement en garde à vue.

La Cour de cassation n'accueille pas ces différents arguments et considère que des circonstances insurmontables avaient bien été identifiées par la cour d'appel. En effet, tant la nécessité d'avoir recours à un interprète que l'existence d'un climat de tension extrême en raison des dégradations du commissariat justifiaient le fait que la notification des droits n'ait pu être réalisée dans les temps. Elle précise par ailleurs que le formulaire visé par l'article 803-6 n'avait pas à être remis lors de l'interpellation mais bien lors de la notification des droits, et qu'ainsi cette remise n'était pas tardive.

Par ailleurs, des précisions intéressantes auraient pu être apportées sur la question des modalités d'exercice du droit à un interprète. En effet, la prévenue regrettait l'absence de procès-verbal expliquant les raisons pour lesquelles l'interprète ne s'était pas déplacé et contestait ainsi la traduction qui avait été faite par téléphone. L'on peut légitimement se questionner sur l'effectivité de la notification des droits lorsque celle-ci est réalisée par voie de télécommunication, notamment en application de l'article préliminaire du code de procédure pénale qui prévoit l'assistance de l'interprète tout au long de la procédure. La question a déjà été posée à la Cour d'appel de Versailles qui, le 3 mai 2000, avait validé ce procédé en constatant que les gardés à vue avaient bien compris leurs droits puisqu'ils avaient finalement réclamé la présence d'un avocat (Versailles, 3 mai 2000, JCP 2000 IV. 1032 ; Dr. pénal 2000. Comm. 94, obs. R. Maron). La Cour de cassation ne semblait pas se satisfaire d'une telle solution puisqu'elle exigeait quant à elle que soit démontrée l'impossibilité pour l'interprète de se déplacer dans le procès-verbal (Crim. 12 mai 2010, n° 09-12.923, Procédures 2010. Comm. 289, obs. A.-S. Chavent-Leclère ; Dr. pénal 2010. Comm. 101, obs. A. Maron et M. Haas. V. égal., Rép. pén., Garde à vue, par C. Mauro). En l'espèce, cette absence physique de l'interprète aurait-elle pu être compensée par la remise du formulaire de l'article 803-6 traduit dans la langue de la gardée à vue ? La Cour de cassation n'aura pas l'occasion de répondre à ces questions puisque le moyen, présenté pour la première fois devant la Cour de cassation, a été écarté en raison de sa tardiveté.

 

La caractérisation des infractions de refus de soumission aux prélèvements biologiques et relevés signalétiques

Concernant le volet substantiel du pourvoi, la requérante avait refusé, lors de sa garde à vue, de se soumettre au relevé de ses empreintes digitales et génétiques en vue d'une inscription au FNAEG. Or, les articles 706-56 et 55-1 du code de procédure pénale prévoient que ces opérations sont obligatoires et que la personne qui s'y soustrait se rend coupable de l'infraction de refus de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques ou de prélèvements biologiques. Pour être constituées, ces infractions nécessitent néanmoins qu'il existe une suspicion plus ou moins forte pesant sur l'auteur en fonction de l'opération envisagée. Aussi, pour ce qui est des relevés signalétiques, l'infraction de refus de soumission sera constituée dès lors qu'il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'il était l'auteur d'un crime ou d'un délit (C. pr. pén., art. 55-1, al. 3). Concernant les prélèvements biologiques, le code de procédure pénale ne se contente pas de ce simple soupçon et demande la démonstration de l'existence d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable la commission d'une des infractions mentionnées à l'article 706-55 (C. pr. pén., art. 706-54, al. 2), dont font partie les dégradations supposément commises par la requérante. Le pourvoi soulevait, au regard des deux infractions, une seule et même question : Était-il possible de réprimer les faits de refus de se soumettre aux prélèvements biologiques et à la prise d'empreinte digitales alors même que l'infraction pour laquelle ces prélèvements étaient réalisés a fait l'objet d'une décision de relaxe ? La question était à la fois intéressante et opportune : la relaxe laisse planer le doute sur l'existence de véritables soupçons lors de la phase d'enquête et donc sur la caractérisation des infractions de refus de soumission aux prélèvements biologiques et aux relevés signalétiques. La prévenue évoquait ainsi une contradiction de motifs, en prononçant d'une part la relaxe pour l'infraction de dégradations mais en confirmant la condamnation pour les infractions relatives aux prélèvements et relevés. Une décision de relaxe est-elle donc à même d'anéantir la vraisemblance de la commission de l'infraction ? Les indices et les soupçons étaient donc trompeurs, mais faut-il considérer qu'ils étaient suffisants pour caractériser l'infraction ? La Cour de cassation répondra par la négative à ces différentes questions. En effet, elle considère dans l'arrêt commenté que la relaxe ultérieure par la cour d'appel ne fait pas disparaître les soupçons qui pesaient sur la gardée-à-vue. Cristallisant l'infraction dès sa commission, la décision de relaxe ne vient pas remettre en cause l'existence de ses éléments constitutifs au moment de la caractérisation de l'infraction.

Se posait également la question de la conformité de cette condamnation à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. Concernant les prélèvements biologiques, la Cour européenne avait, dans sa décision Aycaguer c/ France, condamné la France en raison de l'incrimination du refus de se soumettre à un prélèvement biologique et de l'absence de possibilité d'obtenir la suppression de ces informations au FNAEG. Elle avait en effet considéré que le délai d'effacement des données était trop long et constituait ainsi une ingérence disproportionnée au droit à la vie privée. La Cour de cassation s'était par la suite prononcée sur cette question en avançant quant à elle que ne constituait pas une telle ingérence la condamnation du requérant pour refus de soumission au prélèvement biologique dans la mesure où une possibilité d'effacement était offerte au prévenu qui avait été relaxé pour l'infraction soupçonnée, et qu'il existait tout de même des indices graves ou concordants lors de l'enquête. Le raisonnement de la Cour visait à contourner les difficultés soulevées par la CEDH : puisque le prévenu relaxé pour l'infraction qui a permis le prélèvement a la possibilité d'obtenir l'effacement de l'inscription au FNAEG, l'incrimination du refus de s'y soumettre ne constitue pas une ingérence disproportionnée à sa vie privée. C'est donc parce qu'il peut obtenir l'effacement lorsqu'il est relaxé que le gardé à vue est obligé de se soumettre aux prélèvements. De ce point de vue, l'arrêt du 28 octobre ne fait donc que confirmer une solution déjà acquise.

Concernant le relevé d'empreintes digitales, la question a fait l'objet d'une évolution similaire. La Cour européenne avait également condamné la France dès 2013 en considérant que les garanties apportées pour la collecte et la conservation des données étaient insuffisantes. Elle mettait pour cela en avant les dispositions du code de procédure pénale qui prévoyaient le relevé d'empreinte et l'inscription au FAED, y compris pour une simple contravention et sans permettre leur effacement en cas de relaxe. Néanmoins, la Cour de cassation rappelle qu'un décret n° 2015-1580 du 2 décembre 2015 était venu répondre à cette condamnation en ne permettant plus le relevé d'empreintes en matière contraventionnelle et en prévoyant l'effacement de ces données en cas de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement. Là encore, la Cour de cassation considérera qu'il n'y a pas de violation de l'article 8 de la Convention européenne, dès lors que la relaxe ainsi obtenue aurait permis l'effacement des relevés. Aussi, la condamnation pour le refus de s'y soumettre ne saurait porter une atteinte manifestement disproportionnée à sa vie privée.

L'on peut que se questionner sur les véritables conséquences, pour le justiciable, d'une telle décision. Si la solution ne manque pas de logique, elle entraîne néanmoins des effets discutables sur la situation du prévenu. La relaxe pour l'infraction qui a permis d'initier la procédure permet d'un côté d'exclure l'inconventionnalité de l'incrimination du refus de se soumettre à un prélèvement biologique ou à un relevé signalétique puisque l'effacement des données est possible, mais d'un autre côté elle ne permet pas de remettre en question la caractérisation des indices ou des soupçons qui ont permis de caractériser l'infraction. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l'obtention d'une relaxe permet quasiment d'automatiser la répression du refus de soumission aux prélèvements et relevés.

 

Source : Crim. 28 oct. 2020, F-P+B+I, n° 19-85.812

© DALLOZ 2020