Rejet de demande de mise en liberté : ordonnance non signée par le JLD
L'appel formé contre une ordonnance de rejet de demande de mise en liberté, non signée et de fait inexistante, doit nécessairement s'analyser en une saisine directe de la chambre de l'instruction, faute pour le juge des libertés et de la détention d'avoir régulièrement statué dans le délai qui lui est imparti.
Poursuivie du chef d'assassinat et placée en détention provisoire, une personne mise en examen a interjeté appel d'une ordonnance, non signée, du juge des libertés et de la détention (JLD) rejetant sa demande de mise en liberté. Devant la chambre de l'instruction, le justiciable a invoqué la nullité de l'ordonnance en raison de l'absence de signature, demandé sa libération d'office et, subsidiairement, contesté la nécessité de son maintien en détention.
La chambre de l'instruction a décidé d'annuler l'ordonnance du JLD, faute de signature du juge : s'abstenant de se prononcer sur la nécessité du maintien en détention, la cour ajoutait simplement que cette annulation, qui concernait une ordonnance de rejet de demande de mise en liberté, n'entraînait pas en elle-même la nullité du titre de détention.
Au double visa des articles 148, alinéa 5, et 593 du code de procédure pénale, la Cour de cassation casse la décision rendue par les juges du fond. D'une part, il est reproché à la chambre de l'instruction d'avoir annulé à tort l'ordonnance de rejet de demande de mise en liberté, au lieu d'avoir constaté son inexistence pour défaut de signature. D'autre part, les juges du fond sont désapprouvés en ce qu'ils se sont abstenus de se prononcer sur le maintien de la mesure de détention, la chambre criminelle précisant que le recours du détenu devait nécessairement s'analyser en une saisine directe de la chambre de l'instruction, faute pour le JLD d'avoir régulièrement statué dans le délai imparti.
Pour rappel, par application des dispositions de l'article 137-1 du code de procédure pénale, les demandes de mise en liberté sont soumises au juge des libertés et de la détention, saisi par une ordonnance motivée du juge d'instruction qui lui transmet le dossier de la procédure accompagné des réquisitions du procureur de la République. Aux termes de l'article 137-3 du code de procédure pénale, le juge des libertés et de la détention, lorsqu'il rejette une demande de mise en liberté, statue par ordonnance motivée qui comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait sur le caractère insuffisant des obligations du contrôle judiciaire et le motif de la détention par référence aux seules dispositions des articles 143-1 et 144 du même code.
Présentée selon le formalisme prévu aux articles 148-6 et 148-7 du code de procédure pénale, la demande de mise en liberté emprunte une procédure organisée par l'article 148 du même code, laquelle impose au JLD de statuer sous un délai de trois jours ouvrables, sauf hypothèses spécifiques. Faute par le JLD d'avoir statué dans le délai imparti, la personne détenue peut saisir directement la chambre de l'instruction qui, sur les réquisitions écrites et motivées du procureur général, se prononce dans les vingt jours de sa saisine, faute de quoi la personne est mise d'office en liberté, sauf si des vérifications concernant sa demande ont été ordonnées (C. pr. pén., art. 148, al. 5).
Au cas de l'espèce, le JLD semble bien avoir statué dans le délai qui lui était normalement imparti. Toutefois, l'ordonnance qu'il a rendue n'était pas régulière en la forme, en ce que la signature du juge y faisait défaut. Frappée d'appel, l'ordonnance était annulée par la chambre de l'instruction conformément à la demande présentée par la défense : à tort, manifestement, puisque, selon la chambre criminelle, l'absence de signature ne devait pas être sanctionnée par le prononcé de la nullité de l'ordonnance, mais par le constat de son inexistence légale.
En tant que marque distinctive permettant d'authentifier la volonté de l'auteur d'un document d'approuver son contenu, la signature confère l'authenticité des actes réalisés par un magistrat. À titre d'exemples, la Cour de cassation a déjà pu énoncer que « la signature du juge d'instruction, condition de l'authenticité des actes de ce magistrat, en constitue une formalité substantielle, à défaut de laquelle ils doivent être tenus pour inexistants » (Crim. 6 oct. 1986, n° 86-93.988, Bull. crim. n° 270), faisant notamment application de ce principe à un procès-verbal de confrontation ne comportant pas la signature du juge (Crim. 13 nov. 1968, n° 68-91.578, Bull. crim. n° 294) ou encore à une ordonnance non signée portant désignation d'experts (Crim. 22 oct. 1986, n° 86-94.398, Bull. crim. n° 301). Une solution identique a également été dégagée en l'absence de signature d'un réquisitoire définitif du procureur de la République, dans la mesure où « il résulte des principes généraux du droit qu'un acte de procédure doit être signé par le magistrat dont il émane » (Crim. 6 juin 1988, n° 88-81.990, Bull. crim. n° 249 ; RSC 1989, obs. A. Braunschweig).
Dès lors que l'ordonnance de rejet de demande de mise en liberté devait ici être tenue pour inexistante, la chambre criminelle considère que celle-ci ne pouvait pas faire l'objet d'une annulation. Faute pour le JLD d'avoir régulièrement statué dans le délai imparti, la Cour de cassation estime par conséquent que le recours formé par l'intéressé devait nécessairement s'analyser en une saisine directe de la chambre de l'instruction, telle que prévue par le dernier alinéa de l'article 148 du code de procédure pénale.
S'il est exact que cette situation n'entraînait, en elle-même, aucune conséquence sur la régularité du titre de détention, reste que la chambre de l'instruction, tenue de motiver sa décision et de répondre aux articulations essentielles du mémoire qui la saisissait, devait se prononcer, comme il le lui était demandé, sur la nécessité du maintien en détention, par référence aux critères fixés par l'article 144 du code de procédure pénale.
Dans une configuration proche, mais impliquant l'organisation d'un débat contradictoire en vue d'une prolongation de la détention provisoire, la chambre criminelle a déjà pu juger que l'omission des signatures de la personne mise en examen, du juge et du greffier sur la première page du procès-verbal de débat contradictoire n'avait pas eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie concernée, dès lors que ces signatures figuraient en fin de procès-verbal (Crim. 22 juin 2004, n° 04-82.105, Bull. crim. n° 263 ; AJ pénal 2004. 372 ; Dr. pénal 2004. Comm. 166, note A. Maron). Dans une autre affaire, une chambre de l'instruction avait été saisie d'un appel formé contre l'ordonnance de placement en détention au motif que le JLD avait omis de signer le procès-verbal de débat contradictoire, l'ordonnance en question et le mandat de dépôt subséquent : la Cour de cassation avait alors approuvé la chambre de l'instruction qui, pour se prononcer au-delà du délai de dix jours qui lui était en l'espèce imparti, avait prescrit une vérification au sens de l'article 194 du code de procédure pénale, visant au versement des pièces originales du dossier d'information, lequel ne lui avait été transmis qu'en copie en vertu de l'article 186, alinéa 5, du même code.
In fine, l'arrêt commenté vient rappeler aux professionnels du droit, s'il le fallait encore, que la forme conditionne, tout autant que le fond, la validité de l'acte juridique entrepris. L'absence de signature peut, entre autres illustrations, entraîner : l'irrecevabilité du mémoire adressé par un avocat à la chambre de l'instruction (Crim. 27 juin 1995, n° 95-82.036, Procédures 1995. Comm. 337 [2e esp.], obs. J. Buisson) ; l'irrégularité de l'information judiciaire entreprise sur la base d'un réquisitoire introductif non signé (Crim. 17 févr. 1987, n° 86-96.298, Bull. crim. n° 77) ; ou encore l'irrecevabilité du mémoire personnel présenté devant la Cour de cassation par application de l'article 584 du code de procédure pénale (v. par ex. Crim. 9 nov. 2005, n° 05-82.446, Dalloz jurisprudence), y compris lorsqu'y figure une simple reproduction, mais non une signature originale du justiciable (Crim. 20 déc. 2006, n° 06-84.314, Bull. crim. n° 324 ; AJ pénal 2007. 92 ; Dr. pénal 2007. 93, obs. A. Maron ; 5 nov. 2013, n° 12-88.006, Dalloz jurisprudence).
Source : Crim. 8 juill. 2020, F-P+B+I, n° 20-81.915
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