Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Spin off #1) : le code des procédures civiles d'exécution amendé
L'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Retour sur les dispositions du code des procédures civiles d'exécution amendées.
Chacun sait que les procédures civiles d'exécution sont l'auxiliaire du droit des obligations en général et du droit des sûretés, réelles en particulier (v. à ce sujet, N. Cayrol, Droit de l'exécution, 2e éd., 2016, nos 22 et 23 ; A. Leborgne, avec le concours de C. Brenner et C. Gijsbers, Droit de l'exécution. Voies d'exécution et procédures de distribution, 3e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2019, n° 6 ; R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d'exécution, 3e éd., Dalloz, 2013, nos 3 et 4 ; v. égal., M. Bandrac, Procédures civiles d'exécution et droit des sûretés, RTD civ. 1993, n° spécial, p. 49 ). La nouvelle réforme du droit des sûretés ne pouvait donc rester muette sur un certain nombre de points intéressant directement les voies d'exécution. Au demeurant, l'article 60, I, 15°, de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « PACTE », avait autorisé le gouvernement à « Aménager et modifier toutes dispositions de nature législative permettant d'assurer la mise en œuvre et de tirer les conséquences des modifications apportées en application des 1° à 14° du présent I ». Et l'avant-projet de réforme du droit des sûretés dévoilé le 18 décembre 2020 contenait un nombre considérable de dispositions relatives aux procédures civiles d'exécution. Parmi ces dispositions, seules celles relevant du domaine de la loi ont été finalement adoptées par l'ordonnance du 15 septembre 2021 (v. à ce sujet, J.-D. Pellier, Les dispositions du code des procédures civiles d'exécution dans l'avant-projet d'ordonnance portant réforme du droit des sûretés, D. 2021. 579 ), les autres étant appelées à faire l'objet d'un décret. L'article 30 de l'ordonnance du 15 septembre 2021 est précisément consacré aux « dispositions modifiant le code des procédures civiles d'exécution ».
Il était tout d'abord nécessaire de tirer les conséquences de l'admission d'un gage portant sur des immeubles par destination (sur cette figure, v. A. Hontebeyrie, Le gage sans dépossession et l'immeuble par destination, JCP N 2016.1108 ; J.-D. Pellier, Réflexions sur le gage ayant pour objet un immeuble par destination ou un meuble par anticipation, D. 2020. 1236 . Pour une réflexion plus générale sur les problèmes suscités par les immeubles par destination, v. C. Gijsbers, Sûretés réelles et droit des biens, préf. Grimaldi, 2015, Économica, nos 433 s.). Le nouvel article 2334 du code civil dispose en effet que « Le gage peut avoir pour objet des meubles immobilisés par destination. L'ordre de préférence entre le créancier hypothécaire et le créancier gagiste est déterminé conformément à l'article 2419 » (le nouvel art. 2419 prévoit que « L'ordre de préférence entre les créanciers hypothécaires et les créanciers gagistes, dans la mesure où leur gage porte sur des biens réputés immeubles, est déterminé par les dates auxquelles les titres respectifs ont été publiés, nonobstant le droit de rétention des créanciers gagistes ». V. égal. nouv. art. 2472, tirant également les conséquences de l'admission de cette possibilité dans l'hypothèse de l'aliénation d'un immeuble incluant un immeuble par destination gagé).
Mais encore fallait-il organiser la saisie d'un tel bien indépendamment de l'immeuble. C'est précisément ce que permet la modification apportée à l'article L. 112-3 du code des procédures civiles d'exécution, ainsi rédigé : « Les immeubles par destination ne peuvent être saisis indépendamment de l'immeuble, sauf pour paiement de leur prix ou pour la réalisation du gage dont ils sont grevés. Dans ce dernier cas, ils ne peuvent être saisis que si la séparation d'avec l'immeuble auquel ils ont été rattachés peut intervenir sans dommage pour les biens » (c'est nous qui surlignons). Jusqu'à présent, la seule exception au principe de l'insaisissabilité des immeubles par destination indépendamment de l'immeuble était l'action du vendeur impayé. Désormais, le gagiste pourra également emprunter la voie de la saisie-vente (C. pr. exéc., art. L. 221-1 s. et R. 221-1 s.) pour réaliser son gage, à moins qu'il ne préfère la voie de l'attribution, judiciaire ou conventionnelle (v. à ce sujet, C. Séjean-Chazal, La réalisation de la sûreté, préf. M. Grimaldi, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de Thèses », vol. 190, 2019). Les auteurs de l'ordonnance ont toutefois souhaité préciser que cette saisie ne serait possible qu'en l'absence de dommage pour les biens concernés. Comme le souligne le rapport au président de la République, il y a là un emprunt (tout à fait bienvenu) au régime de la réserve de propriété, l'article 2370 du code civil disposant en effet que « L'incorporation d'un meuble faisant l'objet d'une réserve de propriété à un autre bien ne fait pas obstacle aux droits du créancier lorsque ces biens peuvent être séparés sans subir de dommage ».
Dans le même ordre d'idées, il était également nécessaire d'intégrer cette hypothèse dans le cadre de la procédure de distribution des deniers et ce, aussi bien dans le cas d'une saisie-vente que dans celui d'une saisie immobilière : ainsi, dans le premier cas, l'article L. 221-5 du code des procédures civiles d'exécution disposera que « Seuls sont admis à faire valoir leurs droits sur le prix de la vente les créanciers saisissants ou opposants qui se sont manifestés avant la vérification des biens saisis et ceux qui, avant la saisie, ont procédé à une mesure conservatoire ou à la publication d'une sûreté sur les mêmes biens » (c'est nous qui surlignons). À vrai dire, cette disposition a une portée plus large puisqu'elle vise tous les créanciers titulaires d'une sûreté publiée. D'ailleurs, le rapport au président de la République indique à ce sujet que « L'article L. 221-5 est complété afin renforcer les droits du créancier titulaire d'une sûreté publiée en cas de saisie-vente d'un bien meuble, en lui permettant de faire valoir ses droits sur le prix de vente de faire valoir ses droits sur le prix de vente ». Il convient de souligner que ce texte entrera en vigueur à compter du 1er janvier 2023, car il s'agit d'une disposition dont la mise en œuvre dépend du registre des sûretés mobilières, qui, aux termes du rapport au président de la République, requiert « à la fois des mesures réglementaires d'application et des développements informatiques », raison pour laquelle la date d'entrée en vigueur relative à ces dispositions est retardée d'un an par rapport aux autres dispositions de la nouvelle ordonnance. Dans l'hypothèse d'une saisie immobilière, deux nouvelles dispositions permettent de prendre en considération le nouveau gage portant sur un immeuble par destination : d'une part, l'article L. 322-14 disposera que « Le versement du prix ou sa consignation et le paiement des frais de la vente purgent de plein droit l'immeuble de toute sûreté publiée du chef du débiteur à compter de la publication du titre de vente » (c'est nous qui surlignons) et, d'autre part, l'article L. 331-1 énoncera que « Seuls sont admis à faire valoir leurs droits sur le prix de la vente le créancier poursuivant, les créanciers inscrits sur l'immeuble saisi à la date de la publication du commandement de payer valant saisie, les créanciers inscrits sur l'immeuble avant la publication du titre de vente et qui sont intervenus dans la procédure, les créanciers énumérés à l'article 2377 et au 3° de l'article 2402 du code civil ainsi que les créanciers titulaires d'une sûreté publiée sur les immeubles par destination saisis avant la publication du titre de vente » (c'est nous qui surlignons). Ces deux dispositions entreront en vigueur, quant à elles, dès le 1er janvier 2022, car il n'y avait aucune raison d'en retarder l'application.
Enfin, l'article L. 211-3 du code des procédures civiles d'exécution est également modifié par l'ordonnance afin d'étendre aux nantissements l'obligation de déclaration du tiers saisi, dans le cadre d'une saisie-attribution (sur laquelle, v. R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d'exécution, op. cit., nos 389 s.) : « Le tiers saisi est tenu de déclarer au créancier l'étendue de ses obligations à l'égard du débiteur ainsi que les modalités qui pourraient les affecter et, s'il y a lieu, les cessions de créances, délégations, nantissements ou saisies antérieures » (c'est nous qui surlignons).
L'innovation était nécessaire et elle mérite d'autant plus d'être saluée que le créancier nanti se trouve désormais investi, sans l'ombre d'un doute, d'un droit exclusif au paiement de la créance nantie, ce droit étant curieusement fondé sur un droit de rétention, consacré par la nouvelle ordonnance au sein de l'article 2363 du code civil (v. à ce sujet, M. Julienne, Le régime du nantissement de créance complété et modernisé, Rev. Banque, avr. 2021, p. 65 ; J.-D. Pellier, Le nantissement de créance, Dalloz actualité, 22 sept. 2021) et ce, alors même que la jurisprudence était parvenue au même résultat sans le secours du droit de rétention (v. à ce sujet, Civ. 2e, 2 juill. 2020, n° 19-11.417 et 19-13.636, D. 2020. 1940 , note J.-D. Pellier ; ibid. 1917, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; Rev. prat. rec. 2020. 6, obs. D. Cholet et A. Provansal ; ibid. 7, obs. D. Cholet et O. Salati ; ibid. 2021. 25, chron. O. Salati ; RTD civ. 2020. 666, obs. C. Gijsbers ; ibid. 946, obs. N. Cayrol ; v. égal., Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 19-10.420, D. 2020. 1836 ; RTD civ. 2020. 946, obs. N. Cayrol . Rappr. Civ. 2e, 10 déc. 2020, n° 19-19.340. V. à ce sujet, M. Julienne, Le nantissement enfin pris au sérieux, Banque et Droit, n° 194, sept.-oct. 2020, p, 4 ; J.-D. Pellier, La consécration du droit exclusif au paiement du créancier nanti, D. 2020. 1940 ). Toutefois, l'on peut se demander pourquoi cette obligation de déclaration du tiers saisi n'a pas été étendue à d'autres opérations sur obligations, qu'elles soient créatrices (certes, en visant les délégations, l'actuel art. L. 211-3 permet d'englober non seulement la délégation non novatoire, dite imparfaite, mais également la délégation novatoire, dite parfaite. Cependant, il laisse de côté les hypothèses, certes plus rares, de novations ne reposant pas sur une délégation. V. à ce sujet, J. François, Traité de droit civil, dir. C. Larroumet, t. 4, Les obligations – Régime général, Économica, 5e éd., 2020, nos 123 s.) ou translatives (cession de contrat, cession de dette ou encore subrogation personnelle. Cette dernière opère également une transmission de la créance, même si elle est toujours envisagée au titre du paiement par le code civil, l'art. 1346-4, al. 1er, c. civ. ne laissant aucun doute à ce sujet. Comp. D. R. Martin et L. Andreu, La subrogation personnelle, in La réforme du régime général des obligations, dir. L. Andreu, Dalloz, coll. « Thèmes et Commentaires », 2011, p. 93 ; v. égal., P. Delebecque, Les limites de la subrogation personnelle in Mélanges en l'honneur de Jacques Mestre, LGDJ, 2019, p. 361 ; E. Savaux, Le paiement avec subrogation in Le nouveau régime général des obligations, Dalloz, coll. « Thèmes et Commentaires », 2016, p. 141).
Par Jean-Denis Pellier
Source : Ord. n° 2021-1192 du 15 sept. 2021, portant réforme du droit des sûretés, JO 16 sept. ; Rapport au président de la République, JO 16 sept..
© DALLOZ 2021