QPC : précisions sur le droit au maintien des liens familiaux durant la détention provisoire
En déterminant le lieu d'incarcération d'une personne placée en détention provisoire, au cours d'une instruction, sans imposer la prise en compte du lieu du domicile de sa famille, le législateur n'a pas privé de garanties légales le droit de mener une vie familiale normale dont bénéficient les intéressés dans les limites inhérentes à la détention provisoire.
En l'espèce, il s'agit de quatre questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) relatives au droit au maintien des liens familiaux durant la détention provisoire. Précisément, le requérant fait grief aux articles 22 et 35 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire de ne pas tenir compte, pour la détermination du lieu d'incarcération d'une personne en détention provisoire pendant l'instruction de son affaire, du droit au maintien de ses liens familiaux. Selon cet article 35, les prévenus peuvent être visités par les membres de leur famille ou d'autres personnes, au moins trois fois par semaine, et les condamnés au moins une fois par semaine.
Or, aux yeux du requérant, qui invoque le droit de mener une vie familiale normale, dès lors que le lieu de détention est trop éloigné du domicile familial, la personne incarcérée se trouve privée du bénéfice effectif du droit de visite par les membres de sa famille. Il faut en outre remarquer qu'aucune procédure ne permet à la personne placée en détention provisoire de solliciter du juge d'instruction le changement de son lieu de détention (crim. 14 octobre 2020, dalloz actualité 26 novembre 2020, obs. M. Recotillet).
Pour déclarer les dispositions contestées conformes à la Constitution, le Conseil constitutionnel fait une application combinée des articles 714 et 144-1 du code de procédure pénale. Les Sages commencent utilement par rappeler qu'aucune disposition n'impose de tenir compte du lieu du domicile de la personne ou des membres de sa famille pour déterminer le lieu d'exécution de cette détention. En outre, ils soulignent que le lieu d'exécution de la détention provisoire est déterminé afin d'assurer une proximité avec celui où siège la juridiction d'instruction devant laquelle la personne mise en examen est appelée à comparaître au cours de l'information judiciaire. En d'autres termes, ce sont donc les besoins de l'instruction qui, pour des raisons pratiques évidentes, doivent justifier le choix du lieu de détention, étant précisé que la durée de la détention provisoire est strictement encadrée par le législateur.
Ce faisant, il est vrai, - et les Sages le reconnaissent - que l'effectivité de la garantie du droit de visite par les membres de la famille peut varier en fonction de la distance séparant le lieu d'incarcération de la personne détenue et le lieu du domicile de sa famille (Rép. pén., v° Prison – Organisation générale, par J.-P. Céré, n ° 131 ; . Carpentier, Détention provisoire et rapprochement familial, la seconde vague ?, La lettre juridique n° 842, 5 nov. 2020, obs. sous Crim. 14 oct. 2020, n° 20-84.077, n° 20-84.078, n° 20-84.082, n° 20-84.086). Toutefois, le Conseil constitutionnel observe que pour garantir ce droit, le législateur a mis en place plusieurs dispositifs visant à permettre le maintien des liens des personnes détenues avec leur famille. C'est d'ailleurs dans cette perspective que les dispositions contestées permettent aux personnes détenues de bénéficier de visites des membres de leur famille au moins trois fois par semaine. En outre, le maintien des liens familiaux est aussi garanti par le droit à une visite trimestrielle dans une unité de vie familiale ou un parloir familial, prévu par l'article 36 de la loi du 24 novembre 2009, « en tenant compte de l'éloignement du visiteur ». Enfin, la personne détenue a le droit de téléphoner aux membres de sa famille et de correspondre par écrit avec toute personne.
En conséquence, pour le Conseil constitutionnel, « en déterminant le lieu d'incarcération d'une personne placée en détention provisoire, au cours d'une instruction, sans imposer la prise en compte du lieu du domicile de sa famille, le législateur n'a pas privé de garanties légales le droit de mener une vie familiale normale dont bénéficient les intéressés dans les limites inhérentes à la détention provisoire ». Les dispositions contestées sont donc déclarées conformes à la Constitution.
Cette motivation rejoint la position de la Cour EDH qui considère aussi qu'à l'instar des visites, l'usage du téléphone et de la correspondance écrite en prison participent au maintien des liens familiaux (CEDH 22 avr. 2014, Nusret Kaya et autres c/ Turquie, req. nos 43750/06, 43752/06, 32054/08, 37753/08 et 60915/08). En outre, elle fait écho aux récentes prises de positions du Défenseur des droits, du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, de l'Observatoire international des prisons au sujet de la situation des détenus, notamment mineurs qui, au printemps 2020, ne pouvaient plus recevoir de visites en raison de la crise sanitaire (Coronavirus : le Défenseur des droits appelle à ne pas porter atteinte aux droits des détenus, dalloz actualité, 20 mars 2020, par M. Babonneau).
Par Dorothée Goetz
Source : Cons. const. 21 janv. 2021, n° 2020-874/875/876/877 QPC
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