Publicité pour l'infidélité : tout le monde peut se tromper…
La Cour de cassation a approuvé la cour d'appel de Paris d'avoir refusé de prononcer l'interdiction d'une campagne publicitaire du site de rencontres extraconjugales Gleeden.com.
L'arrêt de la Cour de cassation était attendu. Il faut dire que l'affaire n'était pas passée inaperçue (v. not. D. Chauvet, La fidélité dans le mariage, un devoir en voie de disparition !, AJ fam. 2016. 148 ; J.-R. Binet, L'infidélité : un commerce comme un autre ?, Dr. fam. 2014. Repère 9 ; A. Cheynet de Beaupré, Infidélité : la pomme de discorde, RJPF 2015-4/9) avant même le jugement du tribunal de grande instance de Paris (TGI Paris, 9 févr. 2017, n° 15/07813, Dalloz actualité, 15 févr. 2017, obs. P. Guiomard ; D. 2018. 1104, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2017. 252, obs. J. Houssier ; Dr. fam. 2017, n° 72, note J.-R. Binet). L'arrêt, confirmatif, de la cour d'appel avait également été commenté (Paris, 17 mai 2019, n° 17/04642, Légipresse 2020. 383 obs. E. Andrieu ; Dr. fam. 2019, n° 142, note J.-R. Binet). La cassation espérée par certains (spéc. J.-R. Binet, note préc. ss Paris, 17 mai 2019) n'a pas eu lieu puisque l'arrêt sous examen rejette le pourvoi. D'aucuns diront sans doute que la Cour de cassation vient ainsi enfoncer le clou… sur le cercueil du devoir de fidélité !
Pour rappel, Gleeden.com – qu'il serait hypocrite de ne pas nommer ici – est un site de rencontres qui s'adresse tout spécialement aux personnes mariées. En 2015, la société éditrice du site a lancé une campagne d'affichage sur les autobus, à Paris et en Île-de-France. Sur ces affiches figurait une pomme croquée accompagnée d'une phrase de présentation assez explicite quant au public visé : « Le premier site de rencontres extraconjugales ». D'autres affiches ont été placardées dans les transports parisiens avec des slogans évocateurs : « Tromper son mari, ce n'est pas la fin du monde », « Par principe, nous ne proposons pas de carte de fidélité » ou encore « C'est parfois en restant fidèle qu'on se trompe le plus ».
C'est alors que la Confédération nationale des associations familiales catholiques (CNAFC) a assigné la société éditrice du site devant le tribunal de grande instance de Paris avec deux objectifs principaux : faire juger nuls pour cause illicite les contrats conclus entre la société et les utilisateurs du site et voir interdire les publicités faisant référence à l'infidélité. L'ensemble de ces demandes se fondait schématiquement sur l'existence du devoir de fidélité entre époux imposé par la loi (C. civ., art. 212) et donc sur le caractère illicite des contrats et activités reposant sur sa violation. Le tribunal, dans sa décision du 9 février 2017 (TGI Paris, préc.), a déclaré la CNAFC pour partie irrecevable et pour partie non fondée en ses demandes.
La CNFAC a alors concentré son appel sur la campagne publicitaire puisqu'elle demandait qu'il soit ordonné à la société de cesser de faire référence, de quelque manière que ce soit, à l'infidélité ou au caractère extraconjugal de son activité à l'occasion de ses campagnes de publicité. Elle a de nouveau été déboutée.
Les motifs de la cour d'appel, grandement repris de ceux du tribunal de grande instance, méritent d'être exposés ici dans leurs grandes lignes.
Tout d'abord, les juges affirment que, « si l'adultère constitue une faute civile au visa de l'article 212 du code civil, il n'en demeure pas moins que cette faute ne peut être invoquée que par un des époux contre l'autre dans le cadre d'une procédure de divorce, que l'obligation de fidélité qui est une obligation du mariage n'est pas une obligation relevant de l'ordre public de direction qui ne supporte aucune dérogation car il peut souffrir certaines exceptions (consentement mutuel des époux, excusée par l'infidélité de l'autre époux, etc.), que c'est à juste titre que les premiers juges ont jugé qu'elle relevait d'un ordre public de protection dont ne peuvent se prévaloir que les époux, que la CNAFC ne peut donc se prévaloir de la violation du devoir de fidélité qui serait promue par le site […] pour faire cesser toute communication commerciale ». De cette affirmation de principe découle la suivante : la CNAFC ne démontre pas en quoi l'infidélité, « qui n'est pas un agissement illicite », constituerait un comportement violent, illicite ou antisocial dont la publicité de Gleeden ferait la promotion. En conséquence, la campagne n'est pas condamnable au titre des principes éthiques et d'autodiscipline professionnelle édictés par le code consolidé de la chambre de commerce internationale sur les pratiques de publicité et de communication commerciale.
Dans le prolongement de ce qui précède, l'arrêt de la cour d'appel s'appuie également sur la décision du jury de déontologie publicitaire qui avait affirmé, dans une décision du 6 décembre 2013, que « ces publicités ne proposent aucune photo qui pourrait être considérée comme indécente, ni d'incitation au mensonge où (sic) la duplicité contrairement à ce que soutiennent les plaignants, mais utilisent des évocations, des jeux de mots ou des phrases à double sens qui suggèrent la possibilité d'utiliser le service offert par le site, tout un chacun étant libre de se sentir concerné ou pas par cette proposition commerciale. Par ailleurs, les slogans ainsi libellés avec ambiguïté ne peuvent être compris avant un certain âge de maturité enfantine ; ils n'utilisent aucun vocabulaire qui pourrait, par lui-même, choquer les enfants ».
Enfin, la cour d'appel considère que, « même si ce message publicitaire […], qui fait partie du champ d'application de la protection accordée par l'article 10, paragraphe 1er, de la Convention européenne des droits de l'homme, s'adresse aux femmes mariées et promeut des rencontres extraconjugales et pourrait choquer les convictions religieuses de certains spectateurs en faisant la promotion de l'adultère au sein de couples mariés, il n'en demeure pas moins que l'interdire serait une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression qui occupe une place éminente dans une société démocratique ».
Ainsi, tout le raisonnement des juges du fond reposait sur l'affirmation selon laquelle le devoir de fidélité relèverait d'un ordre public de protection parce que sa violation ne peut être invoquée que par l'époux trompé. De là, puisque cette obligation ne regarderait que les époux, encourager à la violation du devoir de fidélité ne saurait être une activité illicite, pas plus que de faire la promotion de sites facilitant une telle violation. Or, comme, en eux-mêmes, les images et les slogans employés ne sont pas contraires aux principes éthiques et d'autodiscipline professionnelle en matière de publicité commerciale, il n'y a pas de raison d'interdire la campagne. L'argument ultime étant que, même si la démarche elle-même pourrait choquer les convictions religieuses de certains, ce ne serait pas suffisant non plus pour interdire cette campagne en raison du principe de la liberté d'expression « qui occupe une place éminente dans une société démocratique ». On le voit bien : tout découle du refus de considérer qu'une dimension sociale dépassant la sphère personnelle des époux pourrait être attachée au devoir de fidélité, une dimension qui justifierait une plus grande protection contre les atteintes qu'on y porte.
Pourtant, les nombreux auteurs qui se sont penchés sur cette affaire, en amont comme en aval des décisions des juges du fond, ont largement contesté le fondement même de ce raisonnement, à savoir le fait que le devoir de fidélité relèverait d'un ordre public de protection et non de direction (v. not. J.-R. Binet, note préc. ss TGI Paris, 9 févr. 2017). Certes, il n'a échappé à personne que l'adultère n'est plus une cause péremptoire de divorce et qu'il n'est pas toujours considéré comme une faute permettant le prononcé du divorce sur le fondement de l'article 242 du code civil (sur l'affaiblissement du devoir de fidélité en général, v., entre autres, D. Chauvet, art. préc. ; A. Cheynet de Beaupré, art. préc. ; M. Lamarche, in P. Murat [dir.], Droit de la famille, Dalloz Action, 2020-2021, § 116.101 s.). Il reste que toute relation extraconjugale, même intellectuelle ou virtuelle (sur les différentes « variantes », v. D. Chauvet, art. préc. et le florilège d'arrêts référencés ; A. Cheynet de Beaupré, art. préc. ; M. Lamarche, op. cit., § 116.102), est toujours une violation du devoir de fidélité et donc un comportement contraire à la loi. Un comportement illicite. Ces auteurs ont ainsi souligné que, malgré son affaiblissement, le devoir de fidélité conservait une dimension sociale importante (J.-J. Lemouland et D. Vigneau, obs. préc. ss TGI Paris, 9 févr. 2017 ; J.-R. Binet, note préc. ss Paris, 17 mai 2019) et qu'à ce titre, il relevait d'un ordre public de direction, que sa violation était un acte illicite ce qui impliquait que l'incitation à sa violation devait être considérée comme une activité illicite (en ce sens, v. not. J. Houssier, art. préc).
Ce n'est pas le chemin suivi par la Cour de cassation dans l'arrêt sous examen. Elle rejette au contraire le pourvoi en affirmant : « Ayant ainsi fait ressortir l'absence de sanction civile de l'adultère en dehors de la sphère des relations entre époux, partant, l'absence d'interdiction légale de la promotion à des fins commerciales des rencontres extraconjugales, et, en tout état de cause, le caractère disproportionné de l'ingérence dans l'exercice du droit à la liberté d'expression que constituerait l'interdiction de la campagne publicitaire litigieuse, la cour d'appel a, par ces seuls motifs […] légalement justifié sa décision ».
Nous ne rentrerons pas ici dans le débat, qui sera mené par d'autres et ailleurs, sur l'avenir de l'obligation de fidélité dans le mariage à la suite de cet arrêt (v. déjà D. Chauvet, art. préc. ; J.-R. Binet, note ss Civ. 1re, 17 déc. 2015, Dr. fam. 2016, n° 42). Simplement, il convient de souligner quelques éléments de la décision sous examen que nous laisserons à l'appréciation du lecteur.
D'une part, on note que la Cour de cassation évite soigneusement de parler d'ordre public de protection ou de direction alors même que le pourvoi soulevait clairement ce point dans quatre des six branches de son premier moyen. Comme si les juges de la haute juridiction ne souhaitaient pas aller sur ce terrain et préféraient se contenter de constater que la violation du devoir de fidélité ne peut être invoquée que par les époux entre eux. Cela affaiblit leur raisonnement car on ne voit pas le lien « naturellement » fait par la Cour entre ce simple constat – qui n'exclut pas, par lui-même, un ordre public de direction (en ce sens, v. J. Houssier, art. préc. ; J.-R. Binet, note préc. ss Paris, 17 mai 2019) – et l'absence d'interdiction légale de la promotion à des fins commerciales des rencontres extraconjugales qui en découlerait. Le caractère illicite ou non de l'infidélité, indépendamment de sa sanction, devrait être un chaînon crucial du raisonnement (dans un sens proche, v. A. Cheynet de Beaupré, art. préc.).
D'autre part, on ne peut qu'être frappé par la formule lapidaire de la Cour de cassation quand elle approuve la cour d'appel d'avoir affirmé qu'interdire la campagne publicitaire porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression garantie par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme alors même qu'il peut y être porté atteinte notamment pour protéger la morale, ce qui, en l'espèce aurait peut-être pu être discuté (v. en ce sens J.-R. Binet, L'infidélité : un commerce comme un autre ?, art. préc., qui considère que l'adultère est non seulement interdit par la loi mais aussi par la morale commune). La formule « en tout état de cause » semble en effet indiquer clairement que le devoir de fidélité n'avait « aucune chance » de justifier l'interdiction de la campagne. C'est d'ailleurs là peut-être une des explications de la faiblesse du raisonnement relevée plus haut : de toute façon, peu importe que l'infidélité soit illicite ou pas, cela ne pèserait guère face à la liberté d'expression.
Il ressort de tout cela le sentiment que la Cour de cassation fait décidément bien peu de cas de l'obligation de fidélité. On peut pourtant se demander si négliger l'intérêt de la société à l'existence d'un mariage respectueux des règles impératives (v. not. C. civ., art. 1387 et 1388) que la loi a cru bon d'imposer aux époux ne serait pas une erreur (sur cet intérêt de la société, v. J.-R. Binet, note préc. ss TGI Paris, 9 févr. 2017 ; J.-J. Lemouland et D. Vigneau, obs. préc. ss TGI Paris, 9 févr. 2017)…
Tout le monde peut se tromper… y compris les juges ?
Par Laurence Gareil-Sutter
Source : Civ. 1re, 16 déc. 2020, FS-P+I, n° 19-19.387.
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