Prêt en devises : obligation d’information de la banque sur les risques liés au taux de change

Opérant un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation met à la charge de la banque ayant octroyé un prêt libellé en monnaie étrangère et remboursable en euros une obligation d’information sur les risques concrets pris par l’emprunteur en cas de dépréciation de l’euro et d’une hausse du taux d’intérêt étranger.

Les faits

Une banque consent à des époux des prêts d’un montant libellé en francs suisses et remboursables en plusieurs échéances libellées en euros (prêts « Helvet Immo ») destinés à financer l’acquisition d’immeubles. Se plaignant du caractère ruineux du financement en raison de la dépréciation de l’euro par rapport au franc suisse, les emprunteurs agissent en responsabilité contractuelle contre la banque, lui reprochant un manquement à son devoir d’information sur les risques de crédit liés au taux de change.

La cour d’appel de Paris écarte tout manquement de la banque à son obligation d’information, déduisant des éléments suivants que les emprunteurs avaient été clairement, précisément et expressément informés sur le risque de variation du taux de change et sur son influence sur la durée du prêt, et donc sur la charge totale de remboursement de ce prêt :

  • les opérations de change étaient clairement décrites dans l’offre ; les clauses « description de votre crédit », « financement de votre crédit », « ouverture de compte interne en euros et d’un compte interne en francs suisses » et « opérations de change » faisaient expressément référence aux opérations et aux frais de change ;
  • dans l’article « opérations de change », il était mentionné que l’amortissement du capital du prêt évoluera en fonction des variations du taux de change et que le taux de change applicable à toutes les opérations de change sera celui de référence publié sur le site internet de la Banque centrale européenne ;
  • cet article expliquait que l’amortissement du prêt se faisait par la conversion des échéances fixes en euros, que la conversion s’opérera selon un taux de change qui pourra évoluer, que l’amortissement évolue en fonction des variations du taux de change appliqué aux règlements mensuels effectués par l’emprunteur, que l’amortissement du capital sera plus ou moins rapide, selon qu’il résulte de l’opération de change une somme supérieure ou inférieure à l’échéance en francs suisses exigible.

Par ailleurs, trois annexes faisaient expressément référence à l’incidence de la variation du taux de change sur le montant des règlements, la durée et le coût total du crédit, et il était spécifié que les tableaux et les exemples chiffrés sont prévisionnels et indicatifs, de sorte qu’il ne saurait être exigé de la banque qu’elle évalue, très précisément et de manière chiffrée, un risque d’endettement sur la base d’un cours dont elle ne contrôle pas les fluctuations.

Cassation

L’arrêt est censuré par la Cour de cassation.

Lorsqu’elle consent un prêt libellé en devise étrangère, stipulant que celle-ci est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l’emprunteur, la banque est tenue de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l’État où celui-ci est domicilié et d’une hausse du taux d’intérêt étranger.

Par suite, la cour d’appel aurait dû rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte.

Revirement de jurisprudence

La Cour de cassation a jugé auparavant que la banque qui a octroyé un prêt libellé en monnaie étrangère et remboursable en euros n’a pas à mettre en garde l’emprunteur sur la variabilité du cours des monnaies, même si celle-ci doit provoquer une augmentation du capital devant être remboursé : l’obligation de mise en garde à laquelle peut être tenu un établissement de crédit à l’égard d’un emprunteur non averti ne porte que sur le risque d’endettement excessif né de l’octroi du prêt, un tel risque étant apprécié au jour de la souscription de l’engagement (Cass. 1e civ. 13-3-2019 no 17-23.169 F-PB ; voir aussi Cass. 1e civ. 20-2-2019 no 17-31.065 FS-PB et no 17-31.067 FS-PB).

Mais, en 2021, la Cour de justice de l’Union européenne, statuant sur le caractère abusif des clauses faisant peser le risque de change sur l’emprunteur, a mis en avant l’exigence de transparence (CJUE 10-6-2021 aff. 609/19) ; elle a retenu que l’exigence de rédaction claire et compréhensible des clauses contractuelles impose qu’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, soit mis en mesure de comprendre le fonctionnement concret de cette clause et d’évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières, notamment en utilisant les simulations chiffrées. Dans son dernier arrêt, la Cour de cassation tire les leçons de la décision de la CJUE et rend à son tour une décision favorable à l’emprunteur en mettant une obligation d’information à la charge de la banque sur les risques de dépréciation de la monnaie afin que l’emprunteur prenne conscience du risque réel auquel il s’expose. Il appartiendra à la cour de renvoi de déterminer si, au cas particulier, le prêteur avait fourni ou non des informations sur le fonctionnement concret du mécanisme financier pour toute cette série de prêts libellés en francs suisses.

À noter

Rappelons que, pour les crédits immobiliers souscrits depuis le 1er juillet 2016, les emprunteurs ne peuvent contracter de prêts libellés dans une devise autre que l’euro, remboursables en euros ou dans la devise concernée, que s’ils déclarent percevoir principalement leurs revenus ou détenir un patrimoine dans cette devise au moment de la signature du contrat de prêt, excepté si le risque de change n’est pas supporté par l’emprunteur (C. consom. art. L 313-64).

 

Source : Cass. 1e civ. 30-3-2022 n° 19-17.996 FS-B

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