Pour exécuter, notifiez le jugement et l'arrêt qui le confirme

L'exécution forcée des condamnations résultant d'un jugement, confirmées en appel, est subordonnée à la signification de l'arrêt et du jugement.

Un débiteur conteste la validité d'un commandement aux fins de saisie-vente pratiqué sur le fondement d'un arrêt rendu par une cour d'appel confirmant des condamnations prononcées par un jugement de première instance. Au soutien de sa contestation, il fait valoir que le jugement de première instance n'avait pas été signifié, seul l'arrêt de la cour l'ayant été. Or, soutient le débiteur, la signification du jugement était impérative en application de l'article 503 du code de procédure civile. Pour rappel, ce texte précise que «Â les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu'après leur avoir été notifiés, à moins que l'exécution n'en soit volontaire ». La cour d'appel avait considéré que la signification de l'arrêt confirmatif était suffisante. La Cour de cassation casse cette décision et énonce en principe que «Â l'exécution forcée des condamnations résultant d'un jugement, confirmées en appel, est subordonnée à la signification de l'arrêt et du jugement ».

On n'insistera pas sur la nécessité de la notification du jugement préalablement à la mise à exécution forcée, sinon pour rappeler que celle-ci remplit une fonction comminatoire en mettant le débiteur dans la situation de devoir exécuter le contenu du jugement sous la menace d'une exécution forcée à venir (v. T. Goujon-Bethan, Point de notification, point d'exécution !, Dalloz actualité, 9 juin 2021). Il convient en revanche d'analyser la double exigence portée par l'arrêt sous commentaire pour procéder à l'exécution forcée des condamnations prononcées par le jugement confirmé : procéder à la notification du jugement, d'une part, et à celle de l'arrêt confirmatif, d'autre part.

La notification du jugement : une exigence évidente

Techniquement, les condamnations sont prononcées par le premier jugement ; c'est lui qui en constitue la source. L'arrêt confirmatif ne change rien à cela. La confirmation n'est pas une novation du jugement et ne vaut pas substitution de l'arrêt de la cour d'appel au jugement de première instance. Au contraire, selon une formule jurisprudentielle, «Â la confirmation d'un jugement a pour effet de lui restituer sa portée initiale » (Civ. 2e, 13 juill. 2006, n°Â 04-20.690). Ainsi, en cas de confirmation d'un jugement, il n'y a pas deux choses jugées qui se superposent mais, comme l'écrit un auteur, «Â une seule chose jugée pour deux décisions de justice » (N. Cayrol, L'exécution provisoire d'un jugement confirmé en appel, RTD civ. 2020. 701 ). C'est ce qui explique que le jugement confirmé peut être visé comme titre exécutoire à l'appui de la mesure d'exécution engagée (Civ. 2e, 4 juin 2020, n°Â 19-12.727 P, Rev. prat. rec. 2020. 17, chron. D. Cholet, O. Cousin, I. Faivre, A.-I. Gregori, R. Laher et O. Salati ; RTD civ. 2020. 701, obs. N. Cayrol ).

Ainsi, le jugement confirmé demeure le titre qui constate la créance liquide et exigible au sens de l'article L. 111-2 du code des procédures civiles d'exécution. Sa notification s'impose avant toute mise à exécution en application de l'article 503 du code de procédure civile. La cassation, de ce point de vue, était inévitable.

La notification de l'arrêt confirmatif : une exigence pertinente

La Cour de cassation ne se contente pas d'exiger la notification du jugement (qui seule faisait défaut en l'espèce)Â : elle énonce que l'arrêt de la cour doit également être notifié. Cet obiter dictum n'est pas neutre et tend à poser une exigence générale applicable à toutes les exécutions entreprises sur la base d'un jugement confirmé. Les justifications de cette exigence diffèrent suivant que le jugement confirmé est ou non revêtu de l'exécution provisoire.

1. Lorsque le jugement de première instance ne bénéficie pas de l'exécution provisoire (à l'instar du jugement concerné [comme le révèle Aix-en-Provence, 10 sept. 2020, n°Â 19/12894]), la nécessité d'une double notification se comprend.

En effet, lorsqu'un tel jugement fait l'objet d'un appel, il n'a aucun caractère exécutoire (C. pr. civ., art. 501) : ni au titre de la force de chose jugée (qui ne joue pas en raison de l'exercice de la voie de recours suspensive qu'est l'appel), ni au titre de l'exécution provisoire (dont il ne bénéficie pas). Ainsi, le débiteur peut s'estimer tranquille puisqu'il sait n'avoir aucune obligation d'exécuter le jugement.

La décision de confirmation change la donne. On peut considérer que la cour d'appel qui confirme le jugement dit que la chose jugée par le premier juge n'a pas à être modifiée et doit constituer la norme régissant la situation des parties. En cela, l'arrêt confirmatif donne corps à l'obligation d'exécuter le contenu du jugement. Il doit à ce titre être porté à la connaissance du débiteur pour l'avertir que sa tranquillité prend fin et que désormais l'exécution forcée peut intervenir. Dans cette situation, le titre exécutoire résulte à la fois de la décision de première instance et de l'arrêt confirmatif.

2. En revanche, lorsque le jugement de première instance est revêtu de l'exécution provisoire et qu'il a été notifié, le débiteur est déjà informé de ce qu'il peut faire l'objet d'une exécution forcée nonobstant appel. L'obligation d'exécuter résulte de l'exécution provisoire. L'obligation de notifier l'arrêt d'appel confirmatif pour entreprendre l'exécution apparaît donc moins nécessaire. Elle est pourtant justifiable tant sur le plan pragmatique que théorique.

La justification pragmatique, d'abord : la généralité de la règle favorise la sécurité juridique. Il est de bonne méthode d'exiger systématiquement la notification du jugement et de l'arrêt, ce qui correspond du reste aux usages de la pratique, laquelle a fait sien depuis longtemps, en matière de procédure, un principe de précaution.

La justification théorique, ensuite : en dépit de leur porosité, l'exécution provisoire et la force de chose jugée ne se confondent pas. L'une permet une exécution provisoire tandis que l'autre est source d'une exécution définitive (sur cette distinction entre exécution définitive et provisoire, v. N. Fricero, Procédure civile, Lextenso, coll. «Â Mémentos », 2021, nos 318 et 321). En ce sens, l'exécution provisoire n'est pas une anticipation de l'acquisition de la force de chose jugée mais désigne une voie autonome qui permet de mettre à exécution le jugement. Or, lorsque l'arrêt d'appel confirmatif intervient, l'exécution provisoire n'est plus le fondement de l'exécution. Le créancier est en droit de poursuivre l'exécution définitive des condamnations dont il bénéficie. Il y a dès lors une certaine logique à exiger la notification de l'arrêt confirmatif qui signale au débiteur que l'obligation d'exécuter résulte désormais de la force de chose jugée et que l'exécution ne sera plus entreprise en vertu d'un titre exécutoire à titre provisoire.

Précisons que cette obligation de notification est une condition de la mise à exécution mais ne modifie pas la nature du titre exécutoire. En particulier, elle n'implique pas de viser sur les actes d'exécution l'arrêt d'appel comme titre exécutoire aux côtés du jugement exécutoire confirmé puisque «Â l'arrêt qui confirme purement et simplement un jugement exécutoire ne prive pas celui-ci de son caractère de titre exécutoire » (Civ. 2e, 4 juin 2020, n°Â 19-12.727 P, Dalloz actualité, 3 juill. 2020, obs. F. Couturier ; Rev. prat. rec. 2020. 17, chron. D. Cholet, O. Cousin, I. Faivre, A.-I. Gregori, R. Laher et O. Salati ; RTD civ. 2020. 701, obs. N. Cayrol ).

 

Civ. 2e, 30 juin 2022, FS-B, n° 21-10.229

Thibault Goujon-Bethan

© Lefebvre Dalloz