Opération de défiscalisation : faute de l'intermédiaire et évaluation du préjudice
La perte de chance d'avoir effectué un investissement plus rentable peut être évaluée en comparant l'avantage fiscal attaché à un investissement outre-mer avec un investissement locatif immobilier qui aurait été réalisé en métropole en conservant une valeur stable.
Certains programmes immobiliers sont commercialisés en considération principale, voire unique, de l'avantage fiscal dont bénéficiera le futur propriétaire. Cet investissement peut s'avérer déceptif pour l'acquéreur, voire lui occasionner « de cruelles déconvenues » (Civ. 3e, 23 sept. 2020, n° 19-12.219, RDI 2020. 679, obs. O. Tournafond et J.-P. Tricoire), soit qu'il ne soit finalement pas éligible à l'avantage escompté, soit que le bien ne procure pas les revenus locatifs attendus, soit enfin que souhaitant revendre le bien, il constate qu'il a subi une importante décote. Quelle est alors la responsabilité de l'intermédiaire ?
Au cas particulier, démarché par une société, un couple acquiert en VEFA un appartement situé à La Réunion à titre d'investissement locatif bénéficiant d'un avantage fiscal. Huit ans après la conclusion du contrat, le bien est estimé à une valeur largement inférieure au prix de vente. Les acquéreurs assignent le vendeur, l'intermédiaire, la banque et les assureurs en nullité de la vente pour dol. Subsidiairement, ils sollicitent la réparation d'un préjudice patrimonial et moral en raison des fautes commises par l'intermédiaire dans l'exécution de son obligation d'information et de conseil. Seule, cette seconde demande est accueillie. Le démarcheur est condamné à leur payer des dommages et intérêts en raison de la perte de chance d'effectuer un investissement locatif plus rentable par l'acquisition d'un bien en métropole qui aurait conservé une valeur stable sans bénéfice d'un avantage fiscal.
La qualification de la faute de l'intermédiaire, dans le droit fil de la jurisprudence, n'était pas discutée devant la Cour de cassation mais mérite d'être citée. La cour d'appel fustige la technique de vente qui consistait à « convaincre le client que le seul risque est de gagner de l'argent ». Les juges d'appel insistent sur la qualité de l'information devant être délivrée par l'intermédiaire. Elle doit « être loyale, complète et personnalisée afin de permettre l'engagement éclairé du cocontractant sur les avantages et les risques de l'opération immobilière et financière projetée ». Il ne suffit pas, comme le soutenait en l'espèce l'intermédiaire, de produire une projection financière calculant le montant des loyers annuels potentiels ainsi que montant des avantages fiscaux. Cette étude théorique, ne présentant que les perspectives les plus optimistes, accréditait l'idée d'une sécurisation du projet et d'une rentabilité certaine, sans envisager les risques.
Au contraire, outre les perspectives favorables de l'opération, l'intermédiaire doit présenter l'ensemble des aléas juridiques, financiers et constructifs inhérents à l'opération, susceptibles d'inciter les investisseurs à renoncer (Civ. 1re, 17 juin 2015, n° 13-19.760, AJDI 2015. 624 ; Civ. 3e, 24 sept. 2020, n° 19-18.637, AJDI 2020. 863 ; RTD civ. 2020. 869, obs. H. Barbier). Au titre de ces aléas, l'information doit notamment porter sur les risques liés à l'absence de garantie d'achèvement des travaux (Civ. 1re, 20 déc. 2012, n° 11-25.424, AJDI 2013. 222), les conséquences d'un retard de démarrage des travaux (Civ. 1re, 26 sept. 2019, n° 18-21.402, AJDI 2019. 812 ; ibid. 813 ; RTD com. 2019. 861, obs. D. Legeais), les risques fiscaux découlant de la vacance (Civ. 6 sept. 2018, n° 17-21.096, AJDI 2018. 722 ; RDI 2018. 558, obs. J.-P. Tricoire), la nature des travaux éligible au dispositif fiscal, (Civ. 3e, 29 oct. 2015, n° 14-17.469, Dalloz actualité, 10 nov. 2015, obs. T. de Ravel d'Esclapon ; D. 2015. 2320 ; AJDI 2016. 61, obs. M. Thioye ; RDI 2016. 222, obs. H. Heugas-Darraspen), le risque de défaillance de l'exploitant (Civ. 3e, 24 sept. 2010, n° 19-18.637, AJDI 2020. 863).
La responsabilité de l'intermédiaire était recherchée sur le plan délictuel, mais une présentation tronquée peut également être constitutive de manœuvres dolosives (Civ. 3e, 5 mars 2020, n° 18-26.124, RDI 2020. 388, obs. J.-P. Tricoire ; Civ. 3e, 23 sept. 2020, n° 19-12.219, préc.).
Dans son pourvoi, l'intermédiaire contestait l'évaluation du préjudice retenue par la cour d'appel. Pour cette dernière, le préjudice consistait en une perte de chance d'effectuer un investissement immobilier locatif plus rentable par l'acquisition d'un bien en métropole qui aurait conservé une valeur stable sans bénéfice d'un avantage fiscal.
L'investisseur faisait valoir qu'il aurait fallu rechercher sous quelle probabilité les investisseurs, mieux informés, auraient ou non acquis le bien, c'est-à-dire auraient renoncé ou pas à l'opération litigieuse. Pour la Cour de cassation, cette recherche n'est pas nécessaire. En effet, la perte de chance consiste en la disparition d'une éventualité favorable. Ce qui était évalué ici, ce n'est pas tant l'opportunité d'éviter un investissement décevant, que la perte de chance de faire un investissement rentable par l'acquisition d'un bien dont la valeur vénale serait restée stable.
Il restait ensuite à chiffrer la perte de chance. La haute juridiction approuve la cour d'appel d'avoir procédé à une comparaison prenant en compte l'avantage fiscal attaché à un investissement outre-mer avec un investissement locatif immobilier réalisé en métropole en conservant une valeur stable. Les acquéreurs n'auraient certes pas bénéficié de l'avantage fiscal attaché au bien situé à la Réunion, mais le bien qu'ils auraient acquis à sa place aurait conservé une valeur équivalente au montant des sommes investies dans le prix d'achat.
Par Camille Dreveau
Source : Civ. 3e, 14 janv. 2021, FS-P, n° 19-24.881
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