Les obligations de l'administration pour assurer la réunification de la famille des réfugiés

Le Conseil d'État étend le champ de l'approche dynamique de la légalité en matière de visas. Les efforts de l'administration en matière de délivrance des visas de réunification familiale doivent être appréciés par le juge à la date à laquelle il statue.

Le droit des réfugiés à la réunification familiale implique que l'administration enregistre la demande de visa de leurs conjoints et enfants dans un délai raisonnable, juge le Conseil d'État. En l'absence de convocation dans les deux mois, les intéressés peuvent saisir le juge du référé-suspension.

La haute juridiction était saisie d'un recours d'un groupe de réfugiés afghans, soutenus par des associations, contre le rejet implicite par les ministres de l'Intérieur et des Affaires étrangères de leur demande tendant que soient prises les mesures d'organisation nécessaires à l'instruction, dans les meilleurs délais, des demandes de visas de réunification familiale présentées par des ressortissants de ce pays (n° 455754). Par ailleurs, un autre réfugié contestait le rejet, par le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, de son référé mesures utiles tendant à l'enregistrement de la demande de visa de son épouse (n° 457936).

C'est l'occasion pour le Conseil d'État de préciser que si aucun délai n'est fixé par les textes, « le droit pour les réfugiés et titulaires de la protection subsidiaire de faire venir auprès d'eux leur conjoint et leurs enfants âgés de moins de dix-neuf ans implique que ceux-ci puissent solliciter et, sous réserve de motifs d'ordre public et à condition que leur lien de parenté soit établi, obtenir un visa d'entrée et de long séjour en France. Eu égard aux conséquences qu'emporte la délivrance d'un visa tant sur la situation du réfugié ou bénéficiaire de la protection subsidiaire que sur celle de son conjoint et ses enfants demeurés à l'étranger, notamment sur leur droit de mener une vie familiale normale, il incombe à l'autorité consulaire saisie d'une demande de visa au titre de la réunification familiale, accompagnée des justificatifs d'identité et des preuves des liens familiaux des membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire, de convoquer ces personnes afin de procéder, notamment, aux relevés de leurs empreintes digitales, puis à l'enregistrement de leurs demandes dans un délai raisonnable. Il incombe par conséquent aux autorités compétentes de prendre les mesures nécessaires pour permettre aux membres des familles de réfugiés ou de bénéficiaires de la protection subsidiaire en France de faire enregistrer leurs demandes de visa dans un délai raisonnable » (n° 455754).

Dans le cadre du recours individuel (n° 457936), les juges du Palais-Royal indiquent « que lorsque l'autorité consulaire, saisie d'une demande de visa pour réunification familiale, s'abstient de convoquer le demandeur pendant deux mois, naît une décision implicite de refus de convoquer, dont il peut être demandé l'annulation et, le cas échéant, la suspension de l'exécution sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative. » Le juge « appréciera la légalité de cette décision au regard des circonstances prévalant à la date de sa décision et pourra, le cas échéant, constater que le litige a perdu son objet si l'intéressé a, en cours d'instance, obtenu un rendez-vous. » Si les conditions posées par l'article L. 521-1 du code de justice administrative sont remplies, le juge des référés peut enjoindre à l'administration de proposer une date de rendez-vous.

Ces arrêts marquent donc une nouvelle extension du champ de l'approche dynamique de la légalité (v. CE, ass., 19 juill. 2019, Association des Américains accidentels, n° 424216, Lebon avec les conclusions ; AJDA 2019. 1543 ; ibid. 1986 , chron. C. Malverti et C. Beaufils ; D. 2020. 1262, obs. W. Maxwell et C. Zolynski ; RFDA 2019. 891, concl. A. Lallet ), comme l'avait proposé en la matière le tribunal administratif de Nantes (TA Nantes, 28 avr. 2021, n° 2100352, AJDA 2021. 1575 , concl. D. Labouysse ).

Le juge statue en effet également en fonction de la situation à la date de sa décision sur la demande tendant à ce que l'administration prenne des mesures pour faciliter l'enregistrement des demandes de visas des familles des réfugiés afghans. Celle-ci avait été présentées au gouvernement en avril 2021. Le Conseil d'État rappelle que le service des visas de l'ambassade à Kaboul avait été fermé pour raisons de sécurité, en avril 2018, et les demandeurs réorientés vers le consulat de France à Islamabad (Pakistan). Toutefois, les capacités de traitement de celui-ci étaient largement insuffisantes et les délais d'obtention d'un rendez-vous étaient de huit mois en janvier 2020… avant que le consulat ne cesse de recevoir du public en raison de la pandémie de covid-19. Rouvert début 2021, ce consulat a été refermé rapidement pour des raisons de sécurité. Et en août 2021, lors de la prise du pouvoir par les talibans, 3 500 demandes de visa de réunification familiale n'avaient pu être enregistrées.

Cependant, dès mai 2021, les Afghans ont pu également s'adresser aux consulats de Téhéran et New Delhi. En septembre, après la chute de Kaboul, des notes diplomatiques ont invité l'ensemble des postes consulaires à instruire les demandes de visa de réunification familiale présentés par des Afghans. En outre, le consulat d'Islamabad a rouvert en septembre 2021 avec des moyens renforcés. En mars 2022, constate le Conseil d'État, le délai moyen d'obtention d'un rendez-vous s'établissait à quatre mois à Téhéran et quelques jours à New Delhi.

Il en conclut que « si, à la date d'introduction de la requête, les mesures nécessaires à l'examen dans un délai raisonnable des demandes de visas présentées au titre de la réunification familiale des membres des familles de réfugiés et titulaires de la protection subsidiaire afghans n'avaient pas été prises, il ne ressort pas des éléments versés au dossier […] qu'il serait, à la date de la présente décision, nécessaire de procéder à d'autres adaptations de la procédure d'instruction et de délivrance de ces visas ou de prendre des mesures supplémentaires d'organisation du service pour permettre l'examen des demandes dans un délai raisonnable. » Il prononce donc un non-lieu à statuer.

 

Par Marie-Christine de Montecler

CE 9 juin 2022, n° 455754CE 9 juin 2022, n° 457936.

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