Le Sénat durcit le projet de loi confortant le respect des principes de la République

Les sénateurs ont modifié, lundi 12 avril, le projet de loi confortant le respect des principes de la République, en adoptant 139 amendements. Certaines évolutions à la portée symbolique très forte ou en lien avec l'actualité pourraient se heurter à un obstacle constitutionnel selon le gouvernement.

En premier lieu, le Sénat a adopté une série d'amendements particulièrement controversés concernant le port du voile. Est ainsi prévue l'interdiction du port du voile et autres signes religieux ostentatoires par les personnes accompagnant les sorties scolaires ou la possibilité pour le règlement intérieur des piscines et espaces de baignades publiques d'interdire le port du burkini. Dans le même registre, il est prévu d'interdire tout port de signe religieux ostensible par des mineurs dans l'espace public, ainsi que le port par ceux-ci de tout habit qui signifierait l'infériorisation de la femme sur l'homme.

Ces amendements ont été adoptés après un échange particulièrement vif, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, y étant fermement opposé. Outre les arguments politiques, il a été estimé que le dispositif serait censuré « à coup sûr » par le Conseil constitutionnel, puisque les principes de laïcité et de neutralité dans l'espace public s'appliquent aux agents du service public et non aux citoyens. L'expression religieuse des usagers du service public étant constitutionnellement protégée, il n'est pas possible « de [les] priver par principe […] de l'expression d'une opinion religieuse ».

De la même façon, l'argument constitutionnel a été opposé à l'amendement interdisant les listes communautaristes aux élections. Celui-ci prévoit l'interdiction de déposer aux élections des listes dont le titre remettrait en cause les principes « de la souveraineté nationale et de la démocratie, ainsi que de la laïcité ». De plus, les candidats menant des campagnes « ouvertement communautaristes et contraires à ces principes » ne pourraient pas bénéficier de financement. Cet amendement a été adopté malgré l'opposition de la ministre chargée de la Citoyenneté, Marlène Schiappa, pour qui cette disposition « porte des atteintes aux libertés de candidature, d'expression et d'opinion ».

Modification du régime des associations

Autre pilier du projet de loi, la modification du régime s'appliquant aux associations. Il s'agit pour le gouvernement de renforcer les contrôles afin de lutter contre les dérives de certaines d'entre elles. Toutefois, ces mécanismes de surveillance ont suscité de vives craintes du tissu associatif qui ont pu y voir une menace pour la liberté de culte, d'association, d'enseignement ou d'opinion.

Le Sénat a globalement validé le dispositif gouvernemental, notamment en validant l'une des mesures phares de la loi, le « contrat d'engagement républicain » auquel doivent adhérer les associations et fondations. Le but poursuivi est que celles ne respectant pas les principes républicains ne reçoivent plus de subvention publique. Le Sénat en a même enrichi la portée en imposant aux structures subventionnées de « ne pas remettre en cause le caractère laïque de la République ».

De la même façon, le Sénat a approuvé la dissolution administrative des associations causant des atteintes graves à l'ordre public, tout en encadrant davantage le nouveau pouvoir de suspension qui serait conféré au ministre de l'Intérieur dans les situations d'urgence. Parallèlement, les sénateurs ont ouvert la possibilité de dissoudre les associations qui interdisent à des personnes de participer à une réunion à raison de leur couleur ou leur origine, notamment, « en réponse aux réunions non mixtes, c'est-à-dire interdites aux “blancs”, organisées par l'Unef » (exposé des motifs de l'amendement adopté).

Autre mesure controversée, le Sénat a voulu faire obstacle à la délivrance et au renouvellement des titres de séjour des individus ayant manifesté un rejet des principes de la République. Sur ce dernier point, le verrou constitutionnel a de nouveau été mis en avant : « Se pose […] la question de la caractérisation du degré de rejet des valeurs de la République. Ça nous semble difficile et nous expose à un risque constitutionnel » (Marlène Schiappa, ministre déléguée à la Citoyenneté).

En outre, suite à la controverse autour du financement public d'une mosquée à Strasbourg construite par une fédération d'origine turque, le gouvernement a fait adopter une obligation d'information du préfet trois mois avant toute subvention publique pour la construction d'un lieu de culte. L'objectif est d'éviter les « ingérences étrangères et le financement des associations séparatistes » et de permettre un « accompagnement […] de l'État » (Gérald Darmanin).

De même, le gouvernement a souhaité que le préfet puisse s'opposer à l'ouverture d'écoles hors contrat « pour des motifs tirés des relations internationales de la France ou de la défense de ses intérêts fondamentaux ». Selon le ministère de l'Intérieur, « cet outil législatif nouveau permettra de s'opposer à l'ouverture d'écoles comme celle d'Albertville par le Milli Görüs ». L'objectif est d'éviter que certains États étrangers ne cherchent à ouvrir et à gérer sur notre sol des établissements d'enseignement privés afin de promouvoir leurs intérêts et leur idéologie, souvent hostiles à la France.

L'instruction à domicile

S'agissant du sujet particulièrement sensible de l'instruction à domicile, le projet de loi initial prévoyait le passage d'un régime de déclaration à un régime d'autorisation préalable. Le but était de répondre à la problématique des enfants accueillis dans des écoles clandestines, qui constituent de possibles lieux de radicalisation. Le Sénat est revenu sur ce régime d'autorisation préalable de l'administration jugeant qu'il entraînait une « suspicion à l'égard des familles ».

Le Sénat a néanmoins modifié le régime actuel, dans un souci de remédier à ses lacunes. Ainsi, lors de la déclaration, « la famille devra préciser les modalités d'organisation de l'instruction. En cas de doute sur son effectivité, le rectorat pourra demander un entretien avec la famille. Le but étant de ne plus attendre six mois avant de diligenter un contrôle ». De même, un enfant ayant fréquenté une école clandestine ou dont le parent aura été condamné pour un crime ou délit terrorisme ne pourra suivre une instruction à domicile l'année en cours et l'année suivante.

Toujours dans le cadre scolaire et afin de répondre à la problématique de l'absentéisme scolaire, les sénateurs ont ouvert la possibilité de suspendre les allocations familiales et de rentrée scolaire, selon une procédure « proportionnée et graduée ». Jean-Michel Blanquer n'a pas souhaité émettre d'avis tranché sur ce point, s'en remettant à la sagesse des sénateurs.

Parallèlement, face à l'absence de dispositions relatives au service public de l'enseignement supérieur, pourtant confronté à un « entrisme communautarisme, insidieux », le Sénat a précisé les conditions dans lesquelles certaines libertés s'y exerçaient. Il a été prévu qu'aucune activité cultuelle ne puisse avoir lieu dans les lieux d'enseignement. Concrètement, il s'agit d'interdire les prières dans les couloirs ou les amphithéâtres ainsi que les « actions de prosélytisme ou de propagande de nature à perturber les activités d'enseignement et de recherche ». Le ministre de l'Éducation nationale, s'y est opposé, regrettant l'ambiguïté de ce nouvel article tant concernant la nature des activités interdites que le périmètre de l'interdiction.

Le Sénat a également renforcé les contrôles et contraintes s'appliquant au milieu sportif, parfois pointé du doigt pour ses dérives communautaristes. Il a entre autres souhaité interdire le port de signes religieux ostensibles pour la participation aux événements sportifs organisés par les fédérations sportives ou encore imposé aux fédérations sportives l'interdiction de toute propagande politique, religieuse ou raciale.

Enfin, un autre point sensible du projet de loi a été ajusté : la lutte contre les discours de haine et les contenus illicites en ligne. Les plateformes numériques seraient « civilement et pénalement responsables des contenus qu'elles diffusent ». Cette disposition a été adoptée contre l'avis du secrétaire d'État chargé du numérique, Cédric O, celui-ci la jugeant contraire au droit européen. Cela vient s'ajouter à l'article surnommé « Samuel Paty », créant un nouveau délit de mise en danger de la vie d'autrui lorsque celle-ci est la conséquence de la diffusion, dans un but malveillant, d'informations relatives à la vie privée de l'individu.

Ces différentes évolutions ne sont pas définitives et les députés pourraient revenir sur nombre d'entre elles dans la suite de la navette parlementaire.

 

Par Camille Stoclin-Mille

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