La parenté transgenre : une décision inédite
La cour d'appel de Toulouse reconnaît le droit pour une femme transgenre, née homme, d'être désignée comme mère dans l'acte de naissance de sa fille biologique.
La cour d'appel de renvoi s'est prononcée le 9 février 2022 dans l'affaire de la parenté transgenre. Elle résiste à l'arrêt de cassation qui l'a saisie sans pour autant adopter ni le raisonnement ni la solution de l'arrêt déféré.
Un homme marié et déjà père de deux enfants obtient son changement de sexe par un jugement datant de 2011 et devient ainsi une femme à l'état civil.
C'est en tant que femme, quelques années plus tard, et parce qu'elle a conservé ses organes sexuels masculins, qu'elle procrée naturellement avec celle qui est demeurée son épouse. Elle opère alors à l'égard de l'enfant né en 2014 une reconnaissance prénatale « déclarée être de nature maternelle, non gestatrice », dont elle demande par la suite sa transcription à l'état civil. L'officier d'état civil ayant refusé la transcription, elle conteste ce refus et assigne le procureur devant le tribunal de grande instance de Montpellier.
Par jugement du 22 juillet 2016, ce tribunal rejette sa demande de transcription et, par là même, l'établissement d'une filiation maternelle entre l'enfant et la demanderesse, et suggère à la requérante de renoncer à son changement de sexe pour établir sa filiation paternelle avec l'enfant ou d'adopter son enfant biologique par la voie de l'adoption de l'enfant du conjoint.
La cour d'appel de Montpellier, dans un arrêt du 14 novembre 2018, infirme le jugement et ordonne judiciairement l'établissement du lien de filiation entre l'enfant et la demanderesse désignée comme « parent biologique » de l'enfant.
La Cour de cassation en faveur de l'établissement d'une filiation paternelle
La Cour de cassation casse partiellement l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier dans un arrêt du 16 septembre 2020, en ce qu'il crée une nouvelle catégorie à l'état civil, « celle de parent biologique » au visa notamment de l'article 57 du code civil. Elle relève en effet que « la loi française ne permet pas de désigner dans les actes de l'état civil le père ou la mère de l'enfant comme parent biologique » et qu'ainsi, la cour d'appel « ne pouvait créer une nouvelle catégorie à l'état civil ».
Mais elle l'approuve en ce qu'il n'accepte pas la transcription de la reconnaissance maternelle. En effet, après avoir constaté l'absence de dispositions spéciales, la Cour de cassation se réfère aux dispositions relatives à l'établissement de la filiation prévues au titre VII du livre premier du code civil qui régit la filiation par le sang. Elle relève que l'article 311-25 établit la filiation de la mère par désignation de celle-ci dans l'acte de naissance et que l'article 311-20 interdit tout établissement de filiation qui viendrait contredire celle légalement établie tant qu'elle n'a pas été contestée en justice. Elle juge que « ces dispositions s'opposent à ce que deux filiations maternelles soient établies à l'égard d'un même enfant, hors adoption » (§ 16) et approuve la cour d'appel d'avoir constaté « l'impossibilité d'établissement d'une double filiation maternelle » (§ 26). Elle réaffirme ainsi le principe selon lequel l'établissement de la filiation maternelle s'établit par l'accouchement et que l'établissement d'une double filiation maternelle est dès lors impossible.
La Cour décide qu'il est cependant possible d'appliquer les règles relatives à la seconde filiation seule susceptible d'être reconnue en complément de la filiation maternelle, la filiation paternelle. Elle relève « qu'en application des articles 313 et 316, alinéa 1er, du code civil, la filiation de l'enfant peut, en revanche, être établie par une reconnaissance de paternité lorsque la présomption de paternité est écartée faute de désignation du mari en qualité de père dans l'acte de naissance » (§ 17).
Suggérant l'établissement d'une filiation paternelle attachée à son ancien sexe, la Cour affirme cependant respecter « l'identité de genre » de la requérante. Elle constate ainsi que les « tous les membres de la fratrie seront élevés par deux mères » et que cette filiation lui évite de renoncer à son identité de genre, garantissant ainsi le respect de sa vie privée.
La cour de renvoi en faveur d'une déclaration judiciaire de maternité
La cour d'appel de renvoi refuse pourtant d'appliquer la solution préconisée par la Cour de cassation, l'établissement d'une filiation paternelle par reconnaissance, et tranche en faveur d'une solution inédite qui n'est pas celle de la décision déférée devant elle, la déclaration judiciaire de maternité.
La juridiction de renvoi se prononce en premier lieu sur la recevabilité de la demande de transcription de l'acte de reconnaissance maternel, objet du litige. L'article 638 du code de procédure civile délimite précisément l'étendue de la saisine de la cour d'appel de renvoi en précisant que « l'affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi, à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation ». Or la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier sauf en ce qu'elle a rejeté la demande de transcription de la reconnaissance de maternité. « L'autorité de la chose jugée attachée à cette décision rend donc irrecevable la demande de transcription de l'acte de reconnaissance », comme le constate la cour d'appel. Mais elle poursuit son raisonnement en affirmant immédiatement qu'« en conséquence, l'établissement de la filiation de Mme X ne peut être que judiciaire », contrairement à ce que préconisait la Cour de cassation, à savoir une reconnaissance de paternité.
En effet, elle indique que « l'ensemble des parties s'accorde sur l'exclusion de la filiation paternelle », suggérant bien à tort que la volonté puisse écarter l'application de dispositions impératives ou que les questions d'état des personnes pourraient faire l'objet d'un compromis entre les parties.
Consolidant son raisonnement, elle relève que la reconnaissance de paternité ne peut pas être retenue « dans la mesure d'une part où elle contraindrait Mme X à nier sa nouvelle identité sexuelle […] et d'autre part serait contraire au respect de sa vie privée et à l'autodétermination sexuelle garantis par les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».
Elle s'appuie donc principalement pour rejeter la filiation paternelle sur la négation de l'identité de genre, terme juridiquement plus exact en ce qu'il a justement remplacé dans les textes celui d'identité sexuelle.
« La voie de la filiation paternelle étant écartée, il reste à envisager l'établissement de la filiation maternelle à laquelle adhère l'ensemble des parties », poursuit-elle. Après avoir relevé que cette filiation maternelle ne peut intervenir par le biais de l'adoption en raison du refus de la mère de l'enfant « dont personne ne prétend qu'il est abusif », elle tente de démontrer que l'établissement d'une double filiation maternelle non adoptive serait désormais possible au regard de l'évolution du contexte juridique opéré par la loi du 18 novembre 2016, malgré le rappel de cette interdiction par l'arrêt de la Cour de cassation lui renvoyant l'affaire.
L'article 320 prévenant les conflits de filiation aurait ainsi « été pris à une époque où les personnes transgenres n'étaient pas affranchies de toute exigence médicale » tandis que cette nouvelle loi « autorise dorénavant le changement de sexe sans réassignation sexuelle par le mécanisme de la possession d'état et fait coexister des réalités juridiques et biologiques distinctes ». Et si l'avis de la Cour de cassation du 7 mars 2018 excluant la double filiation maternelle est postérieur à cette loi, la cour d'appel le désactive en constatant « qu'il est relatif au lien de filiation d'une fillette née en 2010 que la concubine de sa mère voulait voir établie en 2013 sur le fondement de la possession d'état ».
Elle relève également que « cette loi laisse un vide juridique faute de disposition relative à la filiation des enfants nés postérieurement à la modification de la mention du sexe à l'état civil ». Le silence même de la loi bioéthique est interprété par la cour d'appel de Toulouse comme « laissant présumer que le législateur a préféré laisser au juge le soin de régler cette question dans le cadre de son appréciation souveraine de la situation des intéressés ». On rappellera cependant que seuls les faits font l'objet d'une appréciation souveraine des magistrats du fond qui en revanche « tranchent le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables » (C. pr. civ., art. 12).
Arguant donc de cette appréciation souveraine de la situation des intéressés, la cour d'appel développe deux types d'arguments pour établir la maternité judiciaire.
Elle se fonde en premier lieu sur les principes internationaux de l'intérêt supérieur de l'enfant et le droit au respect de sa vie privée qui « rendent impérative la nécessité de permettre à l'enfant né d'un couple dont l'un des membres est transgenre de voir sa filiation doublement établie à l'égard de ses deux parents […] ».
En second lieu, elle indique que la filiation maternelle « n'a nullement vocation à anéantir celle de l'autre » et qu'elle « ne s'inscrit pas dans une tentative de fraude à la loi mais de mise en conformité avec la réalité juridique », la fillette étant « biologiquement et sociologiquement » son enfant.
Enfin, elle relève que la loi de bioéthique du 2 août 2021 « démontre l'absence de trouble à l'ordre public d'une double filiation maternelle hors adoption ».
La cour d'appel établit dès lors « le lien de filiation maternelle » et « dit que cette filiation sera transcrite sur l'acte de naissance sous la mention de Mme X comme mère ».
Un renvoi probable
La démonstration est certes foisonnante, mais on peut douter de son orthodoxie juridique et du bien-fondé de la solution retenue. Pour autant, si la Cour de cassation était à nouveau saisie, il n'y aurait pas automatiquement lieu à renvoi en assemblée plénière : la cour d'appel de renvoi n'ayant pas statué dans le même sens que l'arrêt cassé, la condition essentielle de l'identité de moyens exigée par l'article L. 4316- du code de l'organisation judiciaire n'est pas remplie. Cependant, ce renvoi semble probable et serait opportun au regard d'une autre disposition du même article en vertu de laquelle « le renvoi devant l'assemblée plénière peut être ordonné lorsque l'affaire pose une question de principe, notamment s'il existe des solutions divergentes soit entre les juges du fond, soit entre les juges du fond et la Cour de cassation ».
Par Sophie Paricard
Toulouse, 9 févr. 2022, n° 20/03128
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