Enlèvement international d'enfant : à propos du retour immédiat de l'enfant

Par un arrêt du 8 juillet 2021, la Cour de cassation revient sur la question classique du déplacement d'un enfant, d'un État vers un autre, par l'un de ses parents malgré l'opposition de l'autre et l'existence d'un droit de garde commun.

Un enfant nait en Allemagne en août 2018. Conformément au droit allemand, les parents souscrivent une déclaration d'exercice conjoint de l'autorité parentale. En août 2019, la mère s'installe en France avec l'enfant, malgré l'opposition du père. Celui-ci saisit alors l'autorité centrale allemande d'une demande de retour de l'enfant en Allemagne.

Le ministère public assigne en France la mère devant un juge aux affaires familiales afin que soit ordonné le retour de l'enfant, sur le fondement des dispositions de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants et des dispositions du règlement Bruxelles II bis n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale.

Pour s'opposer au retour, la mère fait notamment valoir qu'une décision allemande du 6 mars 2020 a transféré provisoirement le droit de résidence de l'enfant à son bénéfice, de sorte que le père a été privé de sa faculté de décider du lieu de vie de l'enfant et a perdu sa qualité de gardien et qu'il ne peut donc plus exiger le retour de l'enfant en Allemagne.

Pour bien comprendre l'arrêt, il est utile de rappeler la teneur de quelques-unes des dispositions de la Convention de La Haye :
- Article 3 : « Le déplacement ou le non-retour d'un enfant est considéré comme illicite : a) lorsqu'il a lieu en violation d'un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l'État dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour ; et b) que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l'eût été si de tels événements n'étaient survenus. Le droit de garde visé en a) peut notamment résulter d'une attribution de plein droit, d'une décision judiciaire ou administrative, ou d'un accord en vigueur selon le droit de cet État » ;
- Article 5 : Le « droit de garde » comprend le droit portant sur les soins de la personne de l'enfant, et en particulier celui de décider de son lieu de résidence ;
- Article 17 : « Le seul fait qu'une décision relative à la garde ait été rendue ou soit susceptible d'être reconnue dans l'État requis ne peut justifier le refus de renvoyer l'enfant dans le cadre de cette Convention, mais les autorités judiciaires ou administratives de l'État requis peuvent prendre en considération les motifs de cette décision qui rentreraient dans le cadre de l'application de la Convention ».

Une solution classique

Dans ce cadre, la première chambre civile rejette le pourvoi et retient que les juges du fond ont légalement justifié leur décision d'ordonner le retour de l'enfant en ayant relevé que la résidence habituelle de l'enfant était située en Allemagne, que l'autorité parentale était conjointe et que la mère était venue en France avec l'enfant malgré l'opposition du père.

Cette solution est classique. Il est en effet certain qu'en présence d'une autorité parentale conjointe, l'un des parents qui n'a pas le droit de garde exclusif ne peut pas modifier unilatéralement le lieu de la résidence habituelle de l'enfant, en l'absence de consentement de l'autre parent (par ex., Civ. 1re, 14 nov. 2006, n° 05-15.692, RJPF 2007-3/39, p. 25, obs. F. Eudier ; 10 juill. 2007, n° 07-10.190, Gaz. Pal. 2008. Somm. 454, obs. J. Massip ; 17 déc. 2008, n° 07-15.393, AJ fam. 2009. 176, obs. A. Boiché ; RJPF 2009-3/35, p. 28, note F. Eudier ; 14 juin 2017, n° 17-10.980, D. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2017. 495, obs. C. Roth ).

L'arrêt est donc une simple décision d'espèce. Il mérite néanmoins de retenir l'attention au regard d'une formule qu'il utilise. L'arrêt indique en effet que la cour d'appel « n'était pas tenue de procéder à une recherche inopérante concernant une décision relative aux modalités de la garde rendue ultérieurement », c'est-à-dire concernant la décision allemande, invoquée par la mère, ayant selon elle transféré provisoirement à son bénéfice le droit de résidence de l'enfant.

Cette formule semble pouvoir s'expliquer de façon très simple : la mère ne pouvait pas justifier le déplacement de l'enfant en août 2019 par une décision du juge allemand postérieure, du mois de mars 2020, modifiant le droit de résidence, en tout état de cause seulement provisoirement.

Remarque sur le caractère provisoire de la décision allemande

Au-delà de ces circonstances d'espèce qui semblent expliquer la solution retenue, cette précision sur le caractère provisoire de la décision allemande appelle une autre remarque, qui va au-delà du commentaire strict de l'arrêt du 8 juillet 2021.

Il est utile de rappeler, de manière plus générale, que la Cour de justice s'est déjà penchée sur l'incidence du caractère provisoire d'une décision rendue en cette matière. Elle l'a fait à propos de l'article 10 du règlement, qui comporte des règles spécifiques concernant la compétence en cas d'enlèvement d'enfant. Cet article 10 dispose qu'« en cas de déplacement ou de non-retour illicites d'un enfant, les juridictions de l'État membre dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites conservent leur compétence jusqu'au moment où l'enfant a acquis une résidence habituelle dans un autre État membre et que a) toute personne, institution ou autre organisme ayant le droit de garde a acquiescé au déplacement ou au non-retour ou b) l'enfant a résidé dans cet autre État membre pendant une période d'au moins un an après que la personne, l'institution ou tout autre organisme ayant le droit de garde a eu ou aurait dû avoir connaissance du lieu où se trouvait l'enfant, que l'enfant s'est intégré dans son nouvel environnement et que l'une au moins des conditions suivantes est remplie : i) dans un délai d'un an après que le titulaire d'un droit de garde a eu ou aurait dû avoir connaissance du lieu où se trouvait l'enfant, aucune demande de retour n'a été faite auprès des autorités compétentes de l'État membre où l'enfant a été déplacé ou est retenu ; ii) une demande de retour présentée par le titulaire d'un droit de garde a été retirée et aucune nouvelle demande n'a été présentée dans le délai fixé au point i) ; iii) une affaire portée devant une juridiction de l'État membre dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites a été close en application de l'article 11, paragraphe 7 ; iv) une décision de garde n'impliquant pas le retour de l'enfant a été rendue par les juridictions de l'État membre dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites ».

Dans un arrêt du 1er juillet 2010 (CJUE 1er juill. 2010, aff. C-211/10, D. 2010. 1798 ; ibid. 2011. 1374, obs. F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2010. 482, Pratique A. Boiché ; RTD civ. 2010. 748, obs. P. Remy-Corlay ; RTD eur. 2010. 927, chron. M. Douchy-Oudot et E. Guinchard ; Europe 2010, n° 349, note L. Idot ; JCP 2010. II. 956, note A. Devers ; Procédures 2010, n° 344, obs. C. Nourissat ; sur cet arrêt, v. égal., I. Barrière-Brousse, in G. Payan, [dir.], Espace judiciaire civil européen, Bruylant, 2020, nos 981 et 982 et A. Devers, in P. Murat [dir.], Droit de la famille 2020/2021, Dalloz Action, n° 535.141), la Cour de justice a ainsi retenu que l'article 10, sous b), iv), du règlement doit être interprété en ce sens qu'une mesure provisoire ne constitue pas une « décision de garde n'impliquant pas le retour de l'enfant » et ne saurait fonder un transfert de compétence aux juridictions de l'État membre vers lequel l'enfant a été illicitement déplacé.

Cette solution est sans lien direct avec l'arrêt du 8 juillet 2021 car les questions juridiques soulevées dans les deux affaires sont différentes, avec d'un côté une question de compétence et de l'autre une question concernant le droit de garde. Néanmoins, dans l'affaire jugée le 8 juillet 2021, la décision du juge allemand, qui concernait le transfert du droit de résidence à la mère, avait également un caractère provisoire. Dès lors, si la décision du juge allemand n'avait pas été postérieure au déplacement de l'enfant, on peut se demander si la mère aurait néanmoins pu l'invoquer utilement : sans doute aurait-on pu alors considérer que la décision du juge allemand concernant la résidence de l'enfant ne portait pas sur le droit de garde au sens de l'article 5 de la Convention, puisqu'elle était seulement provisoire.

 

Par François Mélin

Source : Civ. 1re, 8 juill. 2021, FS-P, n° 21-13.556.

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