Conformité de la législation nationale sur la location courte durée au droit de l'Union européenne
Le fait de soumettre à autorisation la location habituelle d'un local d'habitation à une clientèle de passage pour des séjours de courte durée est conforme à la directive 2006/123/CE relative aux services dans le marché intérieur.
La location courte durée via les plateformes en ligne poursuit sa construction jurisprudentielle. À la suite de l'avis de l'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne selon lequel la plateforme communautaire Airbnb doit être traitée comme un fournisseur de service numérique libre d'opérer dans toute l'Union européenne, la Cour a de nouveau été saisie par des justiciables nationaux. La question était alors de savoir si les restrictions nationales à l'exercice de l'activité de loueur meublé de courte durée étaient compatibles avec la directive dite « services ».
En l'espèce, des sociétés propriétaires d'appartements à Paris ont proposé leurs biens à la location courte durée à destination de la clientèle de passage sur un site internet sans autorisation préalable de la mairie. Ces mises en locations ont par ailleurs été réalisées de manière répétée.
Saisi par le procureur de la République, le juge des référés puis la cour d'appel de Paris ont condamné ces bailleurs au paiement d'une amende et ont ordonné le retour des biens en cause à leur usage d'habitation longue durée sur le fondement des articles L. 631-7 et L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation.
En effet, selon ces textes, dans les communes de plus de 200 000 habitants et dans celles de trois départements limitrophes de Paris, le changement d'usage des locaux destinés à l'habitation est soumis à autorisation préalable délivrée par le maire de la commune dans laquelle est situé l'immeuble. Cette autorisation administrative peut être subordonnée à une compensation c'est-à-dire à la transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage. C'est une délibération du conseil municipal qui fixe les conditions dans lesquelles sont délivrées les autorisations et détermine les compensations par quartier. En l'absence d'autorisation, les bailleurs courte durée s'exposent à une amende et à une injonction de retour à l'usage initial du bien. L'objectif de cet encadrement des locations courtes durées à une clientèle de passage est de limiter l'exode des populations des centres-villes en raison d'une pénurie de logement du fait de la rentabilité économique supérieure de ce type de location.
Ainsi, à la suite de leurs condamnations, les bailleurs ont formé un pourvoi. Selon eux, la cour d'appel aurait violé le principe de primauté du droit de l'Union européenne en ce qu'elle a appliqué les textes nationaux contraires à la libre prestation de services prévue par la directive en ce qu'ils ne sont pas justifiés par une raison impérieuse d'intérêt général. De plus, l'objectif poursuivi par cette réglementation pourrait être réalisé par une mesure moins contraignante comme l'exige l'article 9 de cette directive.
La Cour de cassation émettant des doutes sur le fait que les activités réglementées par l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation relève de la directive « services » a décidé de surseoir à statuer. Sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l'Union européenne a été saisie afin de se prononcer sur la compatibilité de ces dispositions aux normes européennes.
Pour rappel, le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d'un litige dont elles sont saisies, d'interroger la Cour de justice sur l'interprétation du droit de l'Union ou sur la validité d'un acte de l'Union. La décision rendue par la Cour n'a pas pour objet de trancher le litige national qui lui est soumis mais donne une interprétation dont les juges nationaux tireront eux-mêmes les conséquences. Toutes les juridictions nationales seront liées par cette interprétation si elles rencontrent un litige similaire.
Dans son arrêt en date du 22 septembre 2020, la grande chambre de la Cour de justice a jugé que la location de biens meublés destinés à l'habitation d'une clientèle de passage pour de courtes durées n'y élisant pas domicile et de manière répétée entre dans le champ d'application de la directive 2006/123/CE. Ces activités relèvent de la notion de « service », au sens de l'article 4, point 1, de cette directive. Elles ne sont concernées par aucune exclusion visées au sein de la directive et l'exception tirée de la trop grande généralité de la réglementation attaquée a également était écartée. En effet, cette réglementation vise uniquement les personnes se livrant à un type de location particulier, la location courte durée à une clientèle de passage. Dès lors, ce texte n'est pas trop général.
Ensuite, la Cour a confirmé que l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation relève de la notion de « régime d'autorisation » au sens de la directive en ce qu'il soumet à autorisation préalable l'exercice de certaines activités de location.
De facto, il convenait alors de vérifier la justification du principe même de l'établissement d'un tel régime. Selon l'article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/123/CE, le régime d'autorisation doit être justifié par une raison impérieuse d'intérêt général et l'objectif poursuivi par ce régime ne doit pas pouvoir être réalisé par une mesure moins contraignante. Il s'agit là de l'application du critère de proportionnalité.
Dans cette affaire, la Cour a relevé que l'objectif d'intérêt général poursuivi par cette législation était légitime. En effet, l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation se propose de répondre à la dégradation des conditions d'accès au logement et à la tension grandissante des marchés immobiliers. Ce texte vise donc à établir un dispositif de lutte contre la pénurie de logements destinés à la location de longue durée ce qui constitue une raison impérieuse d'intérêt général.
Par ailleurs, la Cour a retenu que le dispositif prévu par le texte attaqué est proportionné à l'objectif poursuivi puisqu'il est matériellement circonscrit à une activité spécifique et de portée géographique restreinte.
En ce sens, il a été relevé que l'objectif poursuivi par le dispositif d'autorisation préalable ne pouvait pas être réalisé par une mesure moins contraignante. Un contrôle a posteriori ne permettrait par exemple pas de freiner le mouvement rapide de transformation de logements destinés à la location de longue durée en logements destinés à la location courte durée.
Quant aux exigences applicables aux critères d'autorisation prévus par la réglementation concernée, la Cour a relevé que les modalités de détermination au niveau local des conditions d'octroi des autorisations prévues par un régime adopté au niveau national permet de justifier des critères applicables par une raison impérieuse d'intérêt général. De plus, la Cour a retenu, concernant l'exigence de proportionnalité de ces critères, que le dispositif prévu au code de la construction et de l'habitation est conforme à cette exigence. En effet, ce dispositif prévoit la faculté d'assortir l'octroi de l'autorisation sollicitée d'une obligation de compensation, dont le quantum est défini par le conseil municipal des communes concernées. Ainsi, le choix laissé aux autorités locales est par principe, un gage de proportionnalité. Il appartient alors à la juridiction nationale de vérifier la véracité des critères retenus à savoir la réalité de la pénurie de logements pour la location de longue durée sur le territoire de la commune concerné et la situation réelle du marché locatif local. En outre, la proportionnalité sera vérifiée au regard de la possibilité réelle de satisfaire à l'obligation de compensation dans la localité concernée, en s'assurant que cette obligation est réalisable par des mécanismes de compensation qui répondent à des conditions de marché raisonnables, transparentes et accessibles.
Au surplus, le fait que la réglementation prévue au code de la construction et de l'habitation ne définisse pas de seuils chiffrés pour qualifier la notion « location d'un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile » ne constitue pas, en soi, un élément de nature à démontrer une méconnaissance des exigences de clarté, de non-ambiguïté et d'objectivité. Il appartient toutefois aux autorités locales de préciser les termes correspondant à cette notion. De même, le fait que le législateur se limite à encadrer les modalités de détermination des autorisations de location courte durée par les autorités locales ne permet pas de considérer que les conditions d'octroi de ces autorisations manquent de clartés et d'objectivités.
Enfin, concernant les exigences de transparence et d'accessibilité des conditions d'octroi des autorisations, la Cour a souligné que l'affichage en mairie et la mise en ligne sur le site internet de la commune des comptes rendus des séances du conseil municipal suffisaient aux propriétaires, souhaitant entreprendre une activité de loueur en courte durée, pour connaître les conditions de délivrance d'une autorisation et de l'éventuelle obligation de compensation préalable.
En somme, la validation du dispositif prévu au sein du code de la construction et de l'habitation par la Cour de justice de l'Union européenne entérine la chasse aux Airbnb dans la capitale. Toutefois, en raison du contexte sanitaire actuel, cette chasse devrait quelque peu s'essouffler en marge de toute action publique. Au regard des restrictions de déplacement au niveau international, de la suppression des grands événements sportifs et culturels et du climat d'anxiété générale, l'activité de loueur meublé de courte durée est bien loin de son âge d'or. Finalement, la pandémie aura permis de remettre bien plus de logement dans le circuit de la location longue durée que tous les dispositifs législatifs mis en place avant son avènement.
Source : CJUE 22 sept. 2020, aff. C-724/18 et C-727/18
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