Condamnation pour transfert de capitaux sans déclaration : la seule suspicion de la commission d'une autre infraction douanière suffit pour confisquer
La Cour de cassation confirme que les sommes saisies d'une personne condamnée pour transfert de capitaux sans déclaration peuvent être confisquées que s'il n'existe, à son encontre, que des raisons plausibles de penser qu'elle a participé à la commission d'une infraction douanière autre que celle-ci, peu important qu'elle ait parallèlement été définitivement relaxée des chefs de blanchiment de droit commun et douanier.
En février 2014, les agents des douanes ont contrôlé, sur l'autoroute entre l'Espagne et la France, un véhicule dont le conducteur a déclaré ne pas transporter de fonds d'un montant supérieur à 10 000 €. Les opérations de contrôle ont cependant permis la découverte d'une cache aménagée contenant des liasses de billets d'une valeur de 498 000 €.
Si le conducteur a déclaré que ces sommes provenaient de son activité de bijoutier, il a été renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs de transfert de capitaux sans déclaration, blanchiment du produit d'infractions à la législation sur les stupéfiants et blanchiment douanier de ce produit.
Rappelons que l'article L. 152-1 du code monétaire et financier exige notamment des personnes physiques transférant vers un État membre de l'Union européenne ou en provenance d'un État membre de l'Union européenne des sommes dont le montant est supérieur à 10 000 € qu'elles déclarent ce transfert. Cette obligation, on le comprend, permet de lutter contre le blanchiment d'argent illicite. L'article L. 152-4 du même code, en vigueur à l'époque des faits, punit la méconnaissance de cette obligation de déclaration « d'une amende égale au quart de la somme sur laquelle a porté l'infraction ou la tentative d'infraction » et oblige les agents des douanes qui constatent une telle infraction à « consigne[r] la totalité de la somme non déclarée, pendant une durée de six mois, renouvelable sur autorisation du procureur de la République du lieu de la direction des douanes dont dépend le service chargé de la procédure, dans la limite de douze mois au total ».
Compte tenu des faits, les premiers juges ont, sans surprise, déclaré le conducteur coupable des faits de transfert de capitaux sans déclaration et l'ont condamné à une amende de 124 500 € (498 000 x 25 %). Ces mêmes juges ont, en revanche, relaxé le prévenu des chefs de blanchiment et débouté l'administration des douanes et droits indirects de sa demande tendant à la confiscation des fonds saisis. Ainsi déboutée, l'administration, plus exactement la direction régionale des douanes d'Aquitaine, a interjeté appel du jugement s'agissant des dispositions portant, après désistement d'une partie de son appel, sur le délit de transfert de capitaux sans déclaration.
Par arrêt du 31 janvier 2019, la cour d'appel Pau a confirmé le jugement entrepris considérant qu'il n'est pas possible pour l'administration de confisquer les fonds transférés. Les juges palois considèrent en effet que « [cette dernière] ne peut, sauf à méconnaître le principe de l'autorité de la chose jugée, se fonder sur la même infraction à la législation sur les stupéfiants, définitivement écartée par la relaxe ». Car, en effet, en raison de l'effet dévolutif attaché à l'appel, la relaxe du conducteur des chefs de blanchiments de droit commun et douanier, était devenue définitive. La cour d'appel ajoute « qu'aucune autre infraction prévue par le code des douanes n'est établie à l'égard du prévenu ».
Tel n'est cependant pas ce qui ressort de la lettre de l'article L. 152-4, II, alinéa 2, en vigueur à l'époque des faits, conduisant la chambre criminelle de la Cour de cassation à faire droit au pourvoi formé par l'administration, précisément au visa dudit article.
Ce texte dispose en effet que la confiscation de la somme consignée « peut être prononcée par la juridiction compétente si, pendant la durée de la consignation, il est établi que l'auteur de l'infraction mentionnée au I est ou a été en possession d'objets laissant présumer qu'il est ou a été l'auteur d'une ou plusieurs infractions prévues et réprimées par le code des douanes ou qu'il participe ou a participé à la commission de telles infractions ou s'il y a des raisons plausibles de penser que l'auteur de l'infraction visée au I a commis une infraction ou plusieurs infractions prévues et réprimées par le code des douanes ou qu'il a participé à la commission de telles infractions ». En clair, la seule suspicion de la participation à la commission d'une autre infraction prévue par le code des douanes que celle de transfert de capitaux sans déclaration, qui constitue le support de la confiscation, suffit. Comme le précise la Cour de cassation, « le prononcé de la peine de confiscation n'impose pas que l'auteur du transfert de capitaux sans déclaration soit poursuivi du chef de cette autre infraction douanière ».
Il s'en évince deux conséquences évidentes, mises en relief par la haute cour : la première, l'absence d'« [exigence qu'une] autre infraction douanière soit établie dès lors que la réunion d'éléments tendant à sa plausibilité est nécessaire mais suffisante pour permettre la confiscation des fonds » ; la seconde, l'inopérance de la relaxe du condamné s'agissant d'une autre infraction que celle de transfert de capitaux sans déclaration pour laquelle l'intéressé a été déclaré coupable.
Cette solution n'est pas nouvelle. Déjà, dans un arrêt rendu le 25 juin 2014, la chambre criminelle avait approuvé la décision rendue par une cour d'appel ayant permis la confiscation des sommes transférées au seul motif qu'il existait « des raisons plausibles de penser que le prévenu avait participé à la commission d'une infraction douanière autre que le transfert de capitaux sans déclaration », laquelle « n'avait pas à mettre le prévenu en mesure de s'expliquer sur cette infraction ».
Toutefois, parce que cet article L. 152-4 permet de prononcer une confiscation en raison de l'existence de « raisons plausibles » ou « d'objets laissant présumer » la commission, en tant qu'auteur ou complice, d'une infraction douanière, cette peine demeure contestée, particulièrement au regard du droit au respect de sa présomption d'innocence. Le droit positif refuse cependant d'y voir une telle atteinte, ni même au droit au respect de ses biens au motif notamment que le système actuel « permet de préserver le juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et la protection des droits fondamentaux de l'individu ».
Dans la présente espèce, la Cour de cassation maintient l'absence d'atteinte à la présomption d'innocence, asseyant sa solution sur deux motifs. Le premier est que la sanction repose sur une condamnation. En effet, « la sanction fiscale de confiscation n'est encourue qu'en cas de déclaration préalable de culpabilité du chef de transfert de capitaux sans déclaration dont les éléments constitutifs doivent être établis par l'autorité poursuivante. D'ailleurs, aux termes de l'article L. 152-4, II, alinéa 3, du code monétaire et financier, une décision de non-lieu ou de relaxe emporte de plein droit mainlevée des mesures de consignation et de saisie ». Le second, qu'il appartient aux juges du fond de constater l'existence d'indices suffisants de la commission de cette autre infraction. Dans l'arrêt précité de 2014, des traces d'héroïne et de cocaïne avaient été relevées sur les billets donnant à penser qu'il y avait eu une infraction douanière autre que le transfert sans déclarations de capitaux. Aussi, de tels indices existaient. Dans notre espèce, la preuve de tels indices n'était certes pas rapportée mais il était précisément reproché aux juges du fond de ne pas s'être livrés à une telle recherche d'indices. Aussi, et dans la mesure où la relaxe de l'intéressé des chefs de blanchiment de droit commun et douanier ne postule pas l'absence d'indices de la commission d'une autre infraction, il appartiendra à la cour d'appel de renvoi de Toulouse de constater de l'existence de raisons plausibles, sans quoi la confiscation des sommes transférées frauduleusement par le conducteur ne saurait être possible.
Source : Crim. 9 sept. 2020, FS-P+B+I, n° 19-82.263
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