Condamnation de la France pour formalisme excessif : la CPVE sur la sellette (?)
En faisant prévaloir le principe de l'obligation de communiquer par voie électronique pour saisir la cour d'appel sans prendre en compte les obstacles pratiques auxquels s'était heurté le requérant pour la respecter, la Cour de cassation a fait preuve d'un formalisme que la garantie de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice n'imposait pas et qui doit, dès lors, être regardé comme excessif.
« Il se passe toujours quelque chose »… en procédure civile. Le fameux slogan d'un grand magasin est transposable à notre matière, tout spécialement à la procédure d'appel et/ou à la communication par voie électronique. Les textes foisonnent, dont la qualité laisse trop souvent à désirer (C. Bléry, Le droit en décadence ?, Dalloz actualité, Le droit en débats, 9 mars 2022) et la Cour de cassation se trouve contrainte de démêler l'écheveau textuel. Elle s'y emploie au fil de nombreux arrêts, qui forment un ensemble pas toujours cohérent et donc pas forcément prévisible ; en outre, cette jurisprudence est parfois très stricte, trop formaliste, au détriment des plaideurs. Ceux-ci n'hésitent pas à saisir la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH)… qui a condamné la France, à plusieurs reprises, pour excès de formalisme.
Aux arrêts Henrioud et Reichman contre France (CEDH 5 nov. 2015, Henrioud c. France, n° 21444/11, D. 2016. 1245 , note G. Bolard ; Procédures 2016. Comm. 15, obs. N. Fricero ; 12 juill. 2016, Reichman c. France, n° 50147/11, D. 2016. 1652 ; Procédures 2016. Comm. 288, N. Fricero), il faut désormais ajouter l'arrêt Lucas contre France, rendu le 9 juin 2022 par la cinquième section de la CEDH : selon la cour de Strasbourg, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans son arrêt du 26 septembre 2019 (Civ. 2e, 26 sept. 2019, n° 18-14.708, Dalloz actualité, 2 oct. 2019, obs. C. Bléry ; ibid., 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 1891 ; ibid. 2435, obs. T. Clay ) qui lui était soumis, en pêchant par excès de formalisme : elle a ainsi porté atteinte au droit d'accès au juge du requérant. Pour autant, et c'est heureux, la CEDH ne remet pas en cause ledit arrêt de la Cour de cassation, dans un autre aspect, à savoir celui qui dénie une valeur juridique aux protocoles de procédure (Dalloz actualité, 2 oct. 2019, préc.).
Il faut noter que l'arrêt n'est pas définitif et qu'il est susceptible d'un renvoi devant la grande chambre, conformément à l'article 44, § 2, de la Convention. Son apport théorique est cependant notable, alors que ses conséquences pratiques pour les avocats français sont plus problématiques.
À l'origine de l'arrêt du 9 juin une procédure en matière d'arbitrage. Un arbitre unique avait été chargé de statuer comme amiable compositeur, sa sentence arbitrale devant être définitive et sans appel (ce qui est la règle, v. C. pr. civ., art. 1489). Un recours en annulation (toujours susceptible d'être exercé lorsque l'appel est fermé, v. C. pr. civ., art. 1491) avait été formé par voie papier à l'encontre de la sentence devant la cour d'appel de Douai. Celle-ci avait déclaré le recours recevable par arrêt du 17 mars 2016. Un pourvoi avait été formé et la deuxième chambre civile de la Cour de cassation avait cassé (sans renvoi) au visa des articles 930-1 et 1495 du code de procédure civile, dont elle rappelait la teneur : « attendu, selon le second de ces textes, que le recours en annulation d'une sentence arbitrale est formé, instruit et jugé selon les règles relatives à la procédure en matière contentieuse prévues aux articles 900 à 930-1 du code de procédure civile ; que le premier dispose que les actes de procédure sont, à peine d'irrecevabilité, remis à la juridiction par voie électronique » ; elle en déduisait que « la recevabilité du recours en annulation de la sentence arbitrale est conditionnée par sa remise à la juridiction par la voie électronique et que les conventions passées entre une cour d'appel et les barreaux de son ressort, aux fins de préciser les modalités de mise en œuvre de la transmission des actes de procédure par voie électronique, ne peuvent déroger aux dispositions de l'article 930-1 du code de procédure civile, notamment en en restreignant le champ d'application ».
Le perdant, M. X. Lucas, a donc formé une requête devant la CEDH, invoquant principalement une atteinte à son droit d'accès à un tribunal garanti par l'article 6, § 1er, de la Convention, et la CEDH a fait droit à cette requête.
Tout d'abord, la Cour estime la requête recevable, comme entrant dans le champ d'application de l'article 6, § 1er (nos 29 s.) et alors que les voies de recours internes ont été épuisées (nos 34 s.)
Sur le fond, la CEDH valide l'arrêt de la Cour de cassation en ce qu'il a jugé qu'un arrêté technique ou un protocole ne pouvait restreindre le champ d'application de la CPVE (nos 48 à 50). Elle estime que le requérant ne peut être tenu pour responsable de l'erreur procédurale ayant consisté à remettre son recours en annulation par voie papier ; il serait donc excessif de la mettre à sa charge (nos 51 à 56). Surtout, elle juge qu'il y a eu un « excès de formalisme » :
« 57. S'il ne lui appartient pas de remettre en cause le raisonnement juridique suivi par la Cour de cassation pour infirmer la solution retenue par la cour d'appel de Douai (paragraphes 49 50 ci-dessus), la Cour rappelle toutefois que les tribunaux doivent éviter, dans l'application des règles de procédure, un excès de formalisme qui porterait atteinte à l'équité du procès. Or elle considère, dans les circonstances de l'espèce, que les conséquences concrètes qui s'attachent au raisonnement ainsi tenu apparaissent particulièrement rigoureuses. En faisant prévaloir le principe de l'obligation de communiquer par voie électronique pour saisir la cour d'appel sans prendre en compte les obstacles pratiques auxquels s'était heurté le requérant pour la respecter, la Cour de cassation a fait preuve d'un formalisme que la garantie de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice n'imposait pas et qui doit, dès lors, être regardé comme excessif. »
La Cour européenne conclut donc à la violation de l'article 6, § 1er, de la Convention, le requérant s'étant « vu imposer une charge disproportionnée qui rompt le juste équilibre entre, d'une part, le souci légitime d'assurer le respect des conditions formelles pour saisir les juridictions et d'autre part le droit d'accès au juge » (nos 58 et 59), avant d'accorder des sommes au titre du dommage moral (3 000 €) et des frais (1 170 €)… et de rejeter la demande de satisfaction équitable (nos 60 s.).
Hiérarchie des normes
La CEDH valide donc l'arrêt de la Cour de cassation en ce qu'il a jugé qu'un protocole ou qu'un arrêté technique ne pouvait restreindre le champ d'application de la CPVE.
Protocole
L'arrêt de 2019 de la Cour de cassation ne nous avait pas paru surprenant en affirmant l'absence de valeur des protocoles de procédure (Dalloz actualité, obs. C. Bléry, préc.) : il s'inscrivait dans une jurisprudence déjà établie et qui était justifiée au regard de la hiérarchie des normes. La deuxième chambre civile avait en effet déjà dénié toute valeur à un protocole de procédure, dans un arrêt inédit qui avait implicitement statué en ce sens (Civ. 2e, 15 oct. 2015, n° 14-22.355 NP, à propos du JAF). Surtout, elle avait explicitement jugé que les protocoles de procédure ne peuvent imposer des règles de droit dur au-delà du code de procédure civile, dans deux importants arrêts publiés – le premier en matière d'expropriation et le second à propos du JEX en matière de saisie immobilière (Civ. 2e, 19 oct. 2017, n° 16-24.234, Dalloz actualité, 7 nov. 2017, obs. C. Bléry ; D. 2017. 2353 , note C. Bléry ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero ; Gaz. Pal. 6 févr. 2017. 60, N. Hoffschir ; 1er mars 2018, n° 16-25.462, Dalloz actualité, 13 mars 2018, obs. C. Bléry ; D. 2018. 517 ; ibid. 1223, obs. A. Leborgne ; ibid. 1223, obs. A. Leborgne ; JCP 2018. 514, obs. L. Raschel) ; l'arrêt du 26 septembre 2019 ne faisait que réaffirmer l'absence de valeur des protocoles, cette fois à l'occasion du recours en annulation contre une sentence arbitrale (adde B. Titran, Revue Justice actualités (RJA) de l'ENM n° 26 : Justice et transformation numérique, janv. 2022, p. 66 s., spéc. p. 68).
Arrêté technique
Si l'attendu de principe de l'arrêt de 2019 n'évoquait que les conventions de procédure, l'arrêt répondait aussi à un autre argument de la cour d'appel de Douai. En effet, les juges du second degré avaient jugé que « ni l'arrêté du 30 mars 2011 consolidé le 1er janvier 2013 [en réalité au 22 avr. 2013] et pris en application de l'article 930-1, alinéa 4 [aujourd'hui 5], du code de procédure civile ni la convention locale de procédure du 10 janvier 2013, qui donnent une énumération précise des actes de procédure qui doivent faire l'objet d'une remise et d'une transmission par voie électronique à la juridiction, ne mentionnent le recours en annulation en matière d'arbitrage […] ».
Or cette appréciation de la fonction de l'arrêté ne pouvait prospérer devant la Cour de cassation. En effet, selon sa jurisprudence constante, en matière de communication par voie électronique obligatoire, et en l'état de l'article 930-1, « il n'y a[vait] pas lieu de se pencher sur l'arrêté le mettant en œuvre pour déterminer le domaine d'application de cette obligation » (v. D. 2017. 605 , spéc. 607, obs. E. de Leiris). L'arrêté technique du 30 mars 2011, pris pour l'application de l'article 930-1, dans la procédure d'appel lorsque la représentation est obligatoire était incomplet ; cela importait peu, l'article 930-1, alinéa 1er, lui, visait (et vise toujours) sans distinguer les « actes de procédure »…
Rappelons quand même que la jurisprudence sur la CPVE devant les cours d'appel n'était pas exempte de critiques en raison de son byzantinisme (sur la CPVE, v. C. Bléry, in S. Guinchard [dir.], Droit et pratique de la procédure civile. Droits interne et de l'Union européenne, 10e éd., Dalloz Action, 2021/2022, nos 273.00 s. ; Rép. pr. civ., v° Communication électronique, par E. de Leiris ; M. Dochy, La dématérialisation des actes du procès civil, Dalloz, 2021 ; « Étude : La communication électronique », in E. Vergès [dir.], Procédure civile, Lexbase). Selon les cas, la CPVE était obligatoire, facultative ou… interdite (alors que, selon nous, la règle correcte est celle de l'« adage » : là où il y a les tuyaux, il y a le droit). Ceci, en raison notamment de l'applicabilité de deux arrêtés techniques – l'un, du 30 mars 2011, concernant la procédure avec représentation obligatoire et l'autre, du 5 mai 2010, concernant la procédure sans représentation obligatoire et de l'interprétation très stricte de la Cour de cassation. En particulier, le premier président était exclu de la communication par voie électronique selon la haute juridiction, en tant que « juridiction autonome », non visée par les deux arrêtés techniques (v. par ex. Civ. 2e, 7 déc. 2017, n° 16-18.216, Dalloz actualité, 3 janv. 2018, obs. F Mélin ; Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; ibid., 16 mars 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2017. 2542 ; Gaz. Pal. 6 févr. 2018, p. 56, obs. C. Bléry).
Aucun recours à cet égard n'a donné lieu à une décision de la CEDH… qui aurait sans doute jugé ces distinctions excessivement formalistes. Depuis, l'arrêté technique du 30 mars 2011 a été abrogé, ainsi que celui du 5 mai 2010 : les deux ont été remplacés par un arrêté du 20 mai 2020, commun aux deux procédures et au premier président : s'il suscite encore des questions, sa rédaction générale constitue un progrès considérable (Dalloz actualité, 2 juin 2020, obs. C. Bléry). Et « notre adage » est aujourd'hui du droit positif.
Formalisme excessif
La CEDH reproche en revanche à la Cour de cassation d'avoir fait prévaloir le principe de l'obligation de communiquer par voie électronique pour saisir la cour d'appel sans prendre en compte les obstacles pratiques auxquels s'était heurté le requérant pour la respecter.
Recours en annulation
En 2019, nous constations aussi que « ainsi que le soulignait la cour d'appel de Douai, confortée par un courrier du président de la commission intranet et nouvelles technologies du Conseil national des barreaux, il n'existe pas sur le RPVA de formulaire adapté au recours en annulation (et non à l'appel) d'une sentence arbitrale ». D'où la difficulté à l'origine de la longue procédure en cause…
Elle avait suscité quelques décisions de cours d'appel (certes après la remise du recours en annulation par voie papier par le requérant, v. n° 54). Ainsi, un arrêt de cour d'appel avait pu valider l'utilisation du formulaire « appel total », faute de « case » appropriée (Angers, ch. com., sect. A, 14 oct. 2014, n° 14/01751) ; un autre (Douai, ch. 8, sect. 3, 29 janv. 2015, n° 13/06684) avait admis le recours à l'ancienne, par voie papier (sur les deux arrêts, v. Arbitrage et RPVA : mariage délicat !, Gaz. Pal. 20-22 sept. 2015, p. 13, note Pomiès). La cour d'appel de Douai avait donc persisté dans sa jurisprudence (Dalloz actualité, 2 oct. 2019, préc.).
La Cour de cassation avait, quant à elle, considéré que « l'absence de case ne doit pas empêcher la remise par voie électronique du recours en annulation… », sans avoir été gênée par l'obligation faite, en conséquence, aux plaideurs de « forcer » le logiciel, d'utiliser d'autres « cases » non prévues à l'effet de former un recours en annulation (Dalloz actualité, 2 oct. 2019, préc.). Si le représentant du gouvernement devant la CEDH essaie de sauver cette conception, le requérant la critique (nos 53 et 55)… et convainc la cour.
Il y a excès de formalisme.
Jurisprudence peu prévisible
Ce n'est pas la première fois que la France est ainsi condamnée (v. supra), de manière assez justifiée. La procédure est un droit servant et pas un droit substantiel : il ne devrait pas y avoir de procès de pure procédure… Force est pourtant de constater qu'ils se multiplient. Si la première raison tient à la (mauvaise) qualité des (trop nombreux) textes que la Cour de cassation doit appliquer (v. supra ; v. aussi, à propos de l'arrêt de la CEDH, B. Titran, sur LinkedIn), la conséquence est la difficulté de garder le cap d'une jurisprudence pour une juridiction submergée de recours. Et le souci vient de ce que la Cour de cassation est tantôt souple, tantôt rigide : sa jurisprudence manque donc de prévisibilité. Si ce grief n'a pas été retenu par la CEDH quant à l'analyse des protocoles et de l'arrêté technique (n° 50), il est bien réel… tant en procédure d'appel qu'en CPVE.
Par exemple, elle admet, bien plus souplement que les cours d'appel, que le poids des fichiers soit une cause étrangère (Civ. 2e, 16 nov. 2017, n° 16-24.864, Dalloz actualité, 22 nov. 2017, obs. C. Bléry ; D. 2018. 52 , note C. Bléry ; ibid. 692, obs. N. Fricero ; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle ; AJ fam. 2017. 618, obs. M. Jean ; D. avocats 2018. 32, chron. C. Lhermitte ; Dalloz IP/IT 2018. 196, obs. L. de Gaulle et V. Ruffa ; v. encore Civ. 2e, 19 mai 2022, n° 21-10.423, Dalloz actualité, 7 juin 2022, obs. C. Bléry ; D. 2022. 1045 ) ; en revanche elle interdisait la CPVE devant le premier président (v. supra). Elle a admis, contrairement à la cour d'appel, que « la panne » (celle, d'ampleur conséquente, du système informatique de l'avocat) soit aussi une cause étrangère (Civ. 2e, 10 juin 2021, n° 20-10.522, Dalloz actualité, 21 juin 2021, obs. C. Bléry ; AJDI 2021. 861 , obs. C. Auché et N. De Andrade ; AJ fam. 2021. 387 et les obs. ). Elle a refusé, sans modulation dans le temps, l'utilisation d'une annexe à la déclaration d'appel pourtant commode pour les avocats, confrontés au peu d'ergonomie du RPVA (Civ. 2e, 13 janv. 2022, n° 20-17.516 P, Dalloz actualité, 20 janv. 2022, obs. R. Laffly ; D. 2022. 325 , note M. Barba ; ibid. 625, obs. N. Fricero ; AJ fam. 2022. 63, obs. F. Eudier et D. D'Ambra ; Rev. prat. rec. 2022. 9, chron. D. Cholet, O. Cousin, M. Draillard, E. Jullien, F. Kieffer, O. Salati et C. Simon ; Lexbase hebdo privé n° 316, 27 janv. 2022, obs. C. Bléry ; JCP 2022. 202, obs. N. Fricero ; Procédures 2022. 52, obs. S. Amrani-Mekki).
Comment aurait-elle analysé l'absence de case idoine ? De son côté, le conseiller de la mise en état avait constaté « que la plateforme e-barreau, qui devait être utilisée à cet effet (§ 20 et 23, ci-dessous), ne permettait pas de saisir un « recours en annulation d'une sentence arbitrale » sous cet intitulé, ni de qualifier les parties en tant que « demandeur » ou « défendeur » au stade de leur identification. Il estima donc que le requérant justifiait d'une « cause étrangère » empêchant une telle transmission au sens de l'article 930-1, alinéa 2, et déclara son recours recevable » (n° 9). Sur le déféré de l'ordonnance, « la cour d'appel de Douai conclut également à la recevabilité du recours en annulation du requérant, mais au terme d'un raisonnement distinct » (n° 11) et déjà évoqué.
Il y avait sans doute matière à discuter l'existence d'une cause étrangère (alors que la valeur du protocole était vouée à l'échec). D'un côté, le « forçage » ou « bidouillage » du RPVA étant techniquement possible, la cause étrangère pouvait ne pas être juridiquement retenue par les juges – d'autant que ce « forçage » du RPVA concerne une partie seulement informative de la démarche (v. M. Bencimon, l'encadré « Pour aller plus loin ») ; d'un autre côté, il est aussi possible de « tronçonner » des fichiers trop lourds pour qu'ils passent par le RPVA et la Cour de cassation ne l'exige pas de la part de l'avocat…
Difficile équilibre
La CEDH affirme la nécessité d'un équilibre entre excès de formalisme et excès de souplesse. En théorie, on ne peut qu'approuver. En pratique, l'exercice est difficile.
Théorie
Si la CEDH condamne l'excès de formalisme, elle réprouve tout autant une « souplesse excessive qui aboutirait à supprimer les conditions de procédure établies par les lois » (n° 43) : la Cour mentionne à cet égard un arrêt rendu (encore) contre la France (26 juill. 2007, Walchli c. France, n° 35787/03, § 29, Dalloz actualité, 30 août 2007, obs. M. Léna ; D. 2007. 2304, obs. M. Léna ; AJ pénal 2007. 490, obs. C. Porteron ) ! En effet, l'excès de souplesse pourrait aboutir à une remise en cause de la communication par voie électronique elle-même.
La CEDH signale l'existence d'un guide pour les juges, qui doivent trouver ce juste et délicat équilibre entre formalisme excessif et souplesse non moins excessive, dès lors que la dématérialisation est en cause (v. nos 24 à 26, spéc. n° 25) : « dans les Lignes directrices sur la numérisation des dossiers judiciaires et la digitalisation des tribunaux (CEPEJ [2021] 15) qu'elle a adoptées le 9 décembre 2021, la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) s'est prononcée en faveur d'une mise en œuvre progressive du « numérique par défaut ». Elle a précisé que l'imposition d'obligations strictes en la matière n'était opportune que s'il existait déjà des mesures de soutien et une infrastructure pertinentes (pts 23 et 24) »… Autant dire que quand le système informatique n'est pas performant, il ne faut pas être juridiquement trop exigeant !
Pratique
L'arrêt de la CEDH incite la Cour de cassation à statuer dans le sens de la souplesse lorsque l'informatique ne suit pas : ici car il manque des « cases » ; sans doute aussi – ce qu'a fait la Cour de cassation, quand la capacité technique est insuffisante, voire si une pratique facilite la tâche des avocats sans pour autant nuire à l'adversaire ou à la fiabilité des échanges procéduraux…
Or la décision du 9 juin 2022 est transposable aux déclarations de saisine après cassation, ainsi qu'à la procédure sur requête devant les cours d'appel. C'est donc sous réserve de la déclaration d'appel, pratiquement tous les modes de saisine de la procédure d'appel qui risquent demain d'être le sujet de nouvelles condamnations de la France par la CEDH, si les avocats ne « forcent » plus le RPVA. Finalement, n'est-on pas dans la souplesse excessive ?!
Conclusion
« Les technologies numériques peuvent contribuer à une meilleure administration de la justice et être mises au service des droits garantis par l'article 6, § 1 » (n° 46 ; v. déjà CEDH 16 févr. 2021, Stichting Landgoed Steenbergen et autres c. Pays-Bas, n° 19732/17, § 50) et « il n'est ni irréaliste ni déraisonnable d'exiger l'utilisation d'un tel service par les professionnels du droit, qui utilisent largement et de longue date l'outil informatique » (n° 47).
La Cour en est « convaincue » et nous aussi… mais à condition que lesdites technologies soient suffisamment performantes, pour être au service des droits et non pour les entraver ! Dès lors, une fois de plus, nous ne pourrons qu'appeler de nos vœux une modernisation du système informatique, en concertation entre les informaticiens et les processualistes : il y a urgence !
Peut-être faudrait-il tout simplement abandonner le RPVA/RPVJ (vieux, difficile à rajeunir !) et Portalis (qui n'en finit pas de naître et sera vieux avant d'être opérationnel), au profit d'un système moins dirigiste. C'est, à nouveau, le modèle québécois qui nous paraît être inspirant, sachant que le CPC québécois s'inscrit dans un cadre législatif plus large, à savoir celui de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information ; or l'article 2 de la LCCJTI dispose qu'« à moins que la loi n'exige l'emploi exclusif d'un support ou d'une technologie spécifique, chacun peut utiliser le support ou la technologie de son choix, dans la mesure où ce choix respecte les règles de droit, notamment celles prévues au code civil ».
Pour aller plus loin
par Maurice Bencimon, ancien Coresponsable du Bureau d'aide à la procédure, membres de l'association Droit et procédure
Formaliser un recours en annulation via le RPVA n'est pas chose facile mais pas impossible.
En revanche, le chemin pour formaliser cet acte est effectivement semé d'embûches en raison principalement du caractère non intuitif de l'outil qui pêche aussi par de nombreuses inadaptations procédurales…
C'est en ce sens que l'on ne peut qu'approuver la Cour quand elle relève qu'« en faisant prévaloir le principe de l'obligation de communiquer par voie électronique pour saisir la cour d'appel sans prendre en compte les obstacles pratiques auxquels s'était heurté le requérant pour la respecter, la Cour de cassation a fait preuve d'un formalisme que la garantie de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice n'imposait pas et qui doit, dès lors, être regardé comme excessif ».
Pour mieux appréhender ces difficultés, il convient de faire un peu d'histoire.
L'obligation de saisir la cour d'appel via la dématérialisation de la procédure est une obligation procédurale qui a précédé la réforme des professions réglementées (fusion avocats-avoués près les cours d'appel) entrée en application le 1er janvier 2012.
Antérieurement, la plateforme pour échanger avec les auxiliaires de justice (les anciens avoués près les cours d'appel) et la juridiction d'appel ne s'appelait pas encore RPVA mais avait déjà les mêmes fondements.
À ce moment de l'histoire de la CPVE seule la déclaration d'appel devait être adressée au greffe via la voie électronique.
Sur l'insistance des avoués d'appel, les techniciens de la Chancellerie ont permis que la déclaration d'appel soit rematérialisée en même temps que le fichier xml adressé au greffe est traité par celui-ci.
Cependant, les services de la Chancellerie n'ont pas souhaité réaliser le même travail s'agissant des autres actes de saisine des cours d'appel.
La raison principale est que dès son origine la CPVE a été pensée et conçue comme un outil à l'usage principalement des juridictions.
Il en résulte que les éléments saisis par les avocats avec le formulaire proposé par le RPVA ont essentiellement pour objet de fournir les éléments nécessaires au fonctionnement du RPVJ et donc du greffe.
C'est le fondement premier de la communication électronique.
Pour s'en convaincre, il suffit de se rappeler que la communication électronique est obligatoire seulement entre la juridiction et les avocats.
Ce n'est donc qu'en raison d'un accident de l'histoire (la rematérialisation de la déclaration d'appel) qu'a été donnée l'illusion que la CPVE pourrait permettre la formalisation des actes de procédure, notamment ceux dont l'objet est la saisine des cours d'appel.
C'est le choix fait de ne pas rematérialiser les actes de saisine des cours d'appel qui est à l'origine des obstacles que doivent franchir les avocats dans l'utilisation du RPVA que vient de sanctionner la CEDH avec la décision objet de ce commentaire.
Mais attention à ne pas surinterpréter cette décision au risque pour les avocats de désillusions.
En effet, il convient de rappeler que les informations relatives à l'utilisation du RPVA se trouvent à la disposition des utilisateurs sur le site du CNB…
Sur la rematérialisation de la déclaration d'appel, v. E. de Leiris, Rép. pr. civ., nos 116 s.
Corinne Bléry