Bygmalion : le tribunal adapte la sévérité des peines prononcées à la gravité des faits commis
L'ancien chef de l'État, Nicolas Sarkozy, a été reconnu coupable jeudi de financement illégal de sa campagne électorale de 2012 et condamné à un an ferme, avec aménagement de peine sous bracelet électronique. Son avocat a annoncé faire appel. C'est la deuxième condamnation de M. Sarkozy en 2011 après celle, le 1er mars, à trois ans dont un ferme pour corruption et trafic d'influence.
La salle 2.01 du tribunal judiciaire de Paris est noire de monde. L'audience doit débuter à 10h ce jeudi. Le blanc des bancs s'estompe au fur et à mesure que le public s'assoit. Quinze prévenus et un grand absent, Nicolas Sarkozy. L'ancien chef de l'État est poursuivi pour financement illégal de la campagne. Les autres, anciens dirigeants de l'équipe de campagne, ex-cadres de l'UMP, aujourd'hui Les Républicains, et ex-responsables de Bygmalion ou de sa filiale Event, le sont pour avoir mis en place un système de fausse facturation – sous évaluation conventions fictives – pour masquer le dépassement du plafond légal.
La sonnerie retentit. Les trois magistrats de la 11e chambre prennent place. La présidente, Caroline Viguier, entame la lecture des attendus. Plus un bruit. Les visages se ferment.
Voilà déjà plus d'une demi-heure qu'elle lit le dispositif de la décision. « Au regard des éléments qui précèdent, le tribunal a déclaré Nicolas Sarkozy coupable de financement illégal de campagne électorale ». Il est 10h44. Avocats et journalistes pianotent avec frénésie sur leurs téléphones portables. Cinq minutes plus tard, les visages se figent à ces quelques mots « adapter la sévérité des peines prononcées à la gravité des faits commis ». Là, chacun suppose que les peines vont être supérieures aux réquisitions du parquet.
Le candidat Sarkozy
Le tribunal a balayé en quelques paragraphes le principes du non bis in idem, soulevé par la défense de M. Sarkozy. Il ne pouvait être jugé au pénal pour financement illégal de campagne électorale puisqu'il avait été sanctionné en 2013 par le Conseil constitutionnel pour dépassement de ses comptes de campagne. Cette décision, ayant autorité de la chose jugée, devait s'imposer au juge pénal. Las, le tribunal rappelle que cette question a été tranchée par le Conseil constitutionnel. « Ce dernier a jugé que même si les faits déférés devant lui et devant la juridiction pénale devaient être considérés comme identiques, en tout état de cause, cela n'interdisait pas l'engagement de poursuites pénales et le prononcé de sanctions pénales, en sus de celles décidées par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et le Conseil constitutionnel puisque « les deux répressions prévues par les dispositions contestées relèvent de corps de règles qui protègent des intérêts sociaux distincts aux fins de sanctions de nature différente ».
Lors de son audition par le tribunal, M. Sarkozy a réfuté avoir mené « une campagne en or massif ». Le montant des dépenses de la campagne a été réévalué à 42,17 millions d'euros, au lieu de 42,8, soit un dépassement du plafond légal de 20,208 millions d'euros », a rappelé le tribunal. À la barre, l'ancien candidat à sa réélection avait assuré, la main sur le cœur : « Ces 20 millions ne sont pas passés dans ma campagne. Ce n'est pas possible, ce n'est pas possible. Et c'est une injustice de le dire ».
Durant la campagne, l'expert-comptable a adressé deux notes d'alertes, les 7 et 27 mars, sur le dépassement du plafond légal. Celle du 7 mars, rappelle le tribunal, avait « vocation à prévenir le candidat, le directeur de campagne et le président de l'association de financement électorale, du risque de dépassement du plafond légal des dépenses électorales ». Dès le 19, souligne le tribunal, « il a été décidé de faire un meeting par jour (…) En réalité, ce seront vingt-et-un nouveaux meetings électoraux qui seront organisés, outre les trois qui avaient été prévus pour le second tour, entraînant, de fait, de nouvelles dépenses électorales ».
Poursuivant son analyse, le tribunal considère, « au vu des éléments chiffrés du dossier, que le plafond avait en réalité été dépassé à compter de l'organisation du 18e meeting de campagne, soit celui du 31 mars 2012, à Paris-Porte de Versailles. Dès lors, à compter de cette date, chaque décision du candidat de procéder à un meeting supplémentaire, de même que la réalisation effective desdits meetings, qui engendraient autant de coûts supplémentaires, constituait autant d'actes matériels positifs de dépassement d'une infraction sans cesse renouvelée ».
Le candidat avait-il l'intention de commettre l'infraction qui lui est reprochée ? La réponse est oui, selon le tribunal. « Nicolas Sarkozy connaissait le montant du plafond légal des dépenses de campagne et savait que l'enjeu était d'éviter un dépassement de ce plafond. Il ne s'agissait pas de sa première campagne électorale.
Son expérience de candidat et sa connaissance de la règle de droit lui avaient même permis de prévenir expressément son entourage. Il a été averti, par écrit, d'une part, du risque de dépassement et, d'autre part, du dépassement effectif du plafond légal, par deux notes (…). Ainsi, alors même que le plafond des dépenses électorales tel que fixé par la loi était dépassé, Nicolas Sarkozy a poursuivi l'organisation des meetings, dans les mêmes conditions que précédemment, permis la réalisation de prestations nouvelles, engagé les dépenses correspondantes et volontairement omis, en sa qualité de candidat, d'exercer un quelconque contrôle sur les dépenses qu'il avait, par ailleurs, l'obligation, non seulement de déclarer dans le compte de campagne, mais de certifier comme étant exactes ».
M. Sarkozy a donc été condamné à un an ferme, avec aménagement de peine ab initio sous le régime de la détention à domicile sous surveillance électronique. Le parquet avait requis un an dont six mois avec sursis et 3 750 € d'amende.
La bande des quatre
Si trois des quatre dirigeants de Bygmalion et de sa filiale Event, Franck Attal, Guy Alves et Sébastien Borivent, ont reconnu avoir accepté le principe de fausses factures à la demande de l'équipe de campagne, le quatrième, Bastien Millot, s'est toujours défendu d'y avoir participé.
Dans ses attendus, le tribunal a considéré qu'ils avaient tous quatre participé et mis en œuvre ce qui a été appelé pudiquement le système de ventilation, à savoir de fausses conventions facturées à l'UMP et des réductions de factures des meetings, pour masquer le dépassement du plafond des dépenses légales. Ce qui leur vaut d'être condamnés tous quatre pour complicité d'escroquerie ; complicité de faux et usage de faux pour M. Attal et complicité de faux et complicité d'usage de faux pour les trois autres. À hauteur notamment de 16 247 509 €. Et complicité de financement illégal.
M. Millot a écopé de trois ans d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis, M. Alves deux ans dont un avec sursis, M. Dorivent, deux ans avec sursis, et M. Attal deux ans dont un avec sursis. Tous écopent de 100 000 € d'amende. Le tribunal a aménagé la peine ferme sous forme de détention à la maison sous surveillance électronique.
Le parquet avait requis deux ans dont un avec sursis et 150 000 € d'amende contre M. Millot, dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis contre les trois autres prévenus, 100 000 € d'amende pour MM. Attal et Alves et 3 000 € pour M. Dorivent.
Ceux de l'UMP
À l'audience, trois des anciens responsables administratifs de l'UMP se sont dit ignorants du système de fraude : Éric Cesari, ex-directeur général de l'UMP, Fabienne Liadzé, ex-directrice des Ressources, Pierre Chassat, ex-directeur de la Communication. Tout a été fait dans leur dos, ont-ils expliqué par Jérôme Lavrilleux, l'ancien directeur de cabinet de Jean-François Copé, et directeur adjoint de la campagne. M. Lavrilleux a avoué en 2014 à la télévision sa participation à cette mécanique infernale.
Le tribunal les a reconnus coupable de complicité d'escroquerie. Il a jugé qu'ils « avaient agi de concert et que leur participation aux faits litigieux résultait de la signature par chacun d'eux d'au moins un engagement de dépenses, à l'en-tête de l'UMP, correspondant aux meetings de campagne et de leur participation à plusieurs réunions, leur permettant d'avoir une connaissance précise des modalités d'organisation de la campagne et des conséquences financières de cette dernière, qui ne se limitaient pas aux engagements de dépenses et factures litigieuses ».
Sur les faits d'abus de confiance au préjudice de l'UMP, à savoir des fausses conventions à hauteur de 16 247 509 €. Pour le tribunal, ils savaient « qu'ils engageaient les fonds de l'UMP à d'autres fins que pour l'organisation de conventions thématiques. Tous se sont accordés pour dire que 2012 étant une année électorale (élections présidentielles et législatives), le nombre de conventions aurait dû être extrêmement limité et leur coût, du fait du déménagement du siège social, restreint. Or ils avaient signé des engagements de dépenses portant la mention manuscrite « conventions », pour des montants de plusieurs millions d'euros, auxquels étaient la plupart du temps adjointes des factures, mentionnant de surcroît des prestations qui n'avaient plus cours ou des thèmes dont ils ignoraient tout. Leur mauvaise foi est ainsi caractérisée ».
Tous sont reconnus coupables de complicité de financement illégal. Le tribunal a condamné M. Lavrilleux à trois ans dont un avec sursis. Même peine pour M. Cesari. Mme Liadzé s'est vu condamnée à trois ans dont dix-huit mois avec sursis et M. Chassat trois ans dont deux avec sursis. Le tribunal a aménagé leur peine ferme sous forme de détention à la maison sous surveillance électronique. Ils se voient également privé du droit d'éligibilité. Trois ans pour M. Lavrilleux, cinq pour les trois autres, élus dans des municipalités des Hauts-de-Seine.
L'équipe de campagne
Guillaume Lambert, le directeur de campagne, Pierre Briand, le président de l'Association de financement de la campagne de Nicolas Sarkozy (AFCNS), son trésorier, l'avocat Philippe Blanchetier, et les deux experts-comptables, Pierre Godet et Marc Leblanc sont poursuivis pour usage de faux, abus de confiance, recel de ce délit, escroquerie et complicité de financement de campagne électorale.
Le tribunal considère qu'ils se sont rendus coupables d'escroquerie en trompant la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et le Conseil constitutionnel sur le dépassement du plafond légal. Les juges estiment qu'en participant aux réunions hebdomadaires de l'équipe de campagne, notamment à partir du 27 mars 2012, ils ont « permis de mettre en place et valider, collectivement, le système frauduleux ». Cela s'est traduit, poursuit le tribunal, par l'omission des « premières factures d'Event dans le processus d'engagement des dépenses de l'association de financement mais les faire refaire, pour les imputer à l'UMP (…) valider des factures du prestataire Event sous-évaluées et donc fausses ; participer à l'établissement du compte de campagne falsifié et minoré de Nicolas Sarkozy ».
Le tribunal les a relaxé des faits d'abus de confiance au préjudicie de l'UMP et pour partie des faits d'escroquerie à hauteur de 3,5 millions d'euros.
Le tribunal a condamné M. Lambert à trois ans et six mois d'emprisonnement dont deux ans avec sursis, M. Briand à deux ans dont un avec sursis, M. Blanchetier à trois ans dont dix-huit mois avec sursis et 60 000 € d'amende. Les deux experts-comptables, MM. Godet et Leblanc, ont écopé de la même peine de prison et d'amende. Le tribunal a aménagé leur peine ferme sous forme de détention à la maison sous surveillance électronique. À titre de peine complémentaire, le tribunal a prononcé une interdiction professionnelle de deux ans contre M. Blanchetier et les experts-comptables. M. Briand s'est vu condamné à trois ans avec sursis du droit d'inéligibilité.
Le parquet avait requis quatre ans et 50 000 € d'amende contre M. Lambert, trois ans contre MM. Briand Blanchetier et Godet, et respectivement 80 000, 40 000 et 60 000 € d'amende, et deux ans contre M. Leblanc et 30 000 € d'amende.
La société Event a été condamné à 100 000 € d'amende pour faux et recel d'abus de confiance.
Le préjudice
« Les infractions portent sur des sommes extrêmement conséquentes : plus de 16 millions d'euros pour l'abus de confiance et les faux, plus de 20 millions d'euros pour le financement illégal de campagne électorale », a relevé le tribunal. « Le préjudice est également constitué par l'atteinte portée aux décisions des organes de contrôle (…) Ces faits ont de surcroît été commis par des professionnels avertis, en raison de leur riche, et parfois long, parcours professionnel. Certains étaient de surcroît soumis au respect de strictes obligations déontologiques (avocats, experts-comptables notamment) qui, non seulement les obligeaient à une vigilance et à une probité accrue, mais leur conféraient le devoir de s'opposer aux faits dont ils étaient les auteurs ou complices ».
« Ces délits ont été commis, non pas à l'occasion d'une campagne électorale, mais au bénéfice de la campagne d'un président de la République en exercice, candidat à son propre renouvellement. Ils ont porté atteinte à la confiance qu'il était possible d'attendre des prévenus. Cette confiance résulte des caractéristiques mêmes du système électoral français, la prise en charge des dépenses électorales par l'État reposant sur une déclaration faite par le candidat ; la plupart des prévenus était en outre titulaire d'un mandat électoral.
Ces faits ont, enfin, porté atteinte au souci de transparence du législateur qui, en pratique, se traduit par la publication du compte de campagne au Journal officiel ou par l'obligation même de désigner un mandataire financier, obligation inscrite dans le titre même de la loi ».
Le tribunal a reconnu que Les Républicains, qui a succédé à l'UMP, pouvait être reçu en sa constitution de partie civile. Mais a estimé que le parti avait concouru à la production de son dommage avec la mise en place du système frauduleux en 2012. En conséquence, le tribunal lui a accordé 81 237 € que lui paieront solidairement les anciens responsables de Bygmalion et ceux de l'UMP.
M. Lavrilleux a annoncé qu'il ne ferait pas appel de ce jugement.
Par Pierre-Antoine Souchard
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