Annulation partielle d'un décret d'application de la loi Immigration et asile
Le droit européen ne permet pas d'opposer un refus d'entrée sur le territoire au ressortissant d'un État arrêté en franchissant une frontière intérieure ou à proximité de celle-ci ni de priver automatiquement un demandeur d'asile de conditions matérielles d'accueil.
Le Conseil d'État a annulé, le 27 novembre, trois dispositions du décret n° 2018-1159 portant diverses dispositions relatives à la lutte contre l'immigration irrégulière et au traitement de la demande d'asile.
Est ainsi censuré l'article 2, qui a introduit dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) un article R. 213-1-1 qui permet, en cas de réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures, d'opposer une décision de refus d'entrée aux ressortissants d'un pays tiers arrêtés ou contrôlés à la frontière ou dans une zone de dix kilomètres à partir de celle-ci. Or, cette disposition est clairement contraire à la jurisprudence de la CJUE. Les associations requérantes sont donc « fondées à soutenir que en ce qu'il permet d'opposer un refus d'entrée à un étranger qui a pénétré sur le territoire métropolitain en franchissant une frontière intérieure terrestre alors que lui sont applicables les dispositions, relatives au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier prises pour la transposition de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, les dispositions de l'article L. 213-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont incompatibles avec les objectifs de celle-ci et à demander l'annulation de l'article 2 du décret attaqué, pris pour l'application de ces dispositions législatives. »
L'article 19 du décret prévoit une répartition entre les régions des demandeurs d'asile et fait interdiction à ceux-ci de quitter leur région d'affectation, sauf motif impérieux, sous peine de perdre le bénéfice des conditions matérielles d'accueil. Le Conseil d'État en accepte le principe. En revanche, il résulte de l'article 20 de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 « que, s'il est possible, dans des cas exceptionnels et dûment justifiés, de retirer les conditions matérielles d'accueil à un demandeur d'asile, d'une part ce retrait ne peut intervenir qu'après examen de la situation particulière de la personne et être motivé, d'autre part l'intéressé doit pouvoir solliciter le rétablissement des conditions matérielles d'accueil lorsque le retrait a été fondé sur l'abandon du lieu de résidence sans information ou autorisation de l'autorité compétente, sur la méconnaissance de l'obligation de se présenter aux autorités ou de se rendre aux rendez-vous qu'elle fixe ou sur l'absence de réponse aux demandes d'information. » En créant des cas de refus et de retrait de plein droit des conditions matérielles d'accueil sans appréciation des circonstances particulières et en excluant toute possibilité de rétablissement de ces conditions, les articles L. 744-7 et L. 744-8 du CESEDA sont incompatibles avec les objectifs de la directive. Les dispositions du 1 de l'article 19 du décret sont donc annulées.
Subit le même sort l'article 11 du décret qui modifie les conditions de réalisation de l'entretien mené à la frontière par l'OFPRA. Il autorise un entretien téléphonique, là où la loi a permis le recours à un moyen audiovisuel…
Les autres dispositions du décret sont jugées légales, notamment celles de l'article 15 qui précise que le demandeur d'asile doit se présenter en personne devant l'administration pour déposer sa demande. Cette disposition, précise la Haute juridiction, « n'a pas pour objet ni ne saurait avoir légalement pour effet de méconnaître le délai maximum de six jours ouvrables pour l'enregistrement de la demande d'asile prévu par l'article 6 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ». Le décret n'avait pas, pour autant, à rappeler ce délai.
Par Marie-Christine de Montecler.
Source : CE 27 nov. 2020, req. n° 428178
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